commencent à être perçants que quand ceux du corps commencent à baisser ; toi, tu es encore loin de cet âge. »
Là-dessus, je lui dis : « Pour ce qui est de moi, je viens de dire mon sentiment, et tout ce que j’ai dit, je le pense ; toi, de ton côté, vois ce que tu juges le plus à propos pour toi et pour moi.— Bien parlé ! dit-il ; à l’avenir nous nous consulterons pour prendre le parti le plus à propos pour tous deux, sur ce point comme sur les autres. »
Après cet échange de propos, je pensai qu’il était blessé du trait que je lui avais décoché ; je me levai, sans lui permettre de rien ajouter, et, déployant sur lui mon manteau, car on était en hiver, je me couchai sous la vieille capote de cet homme-là et, jetant mes deux bras autour de cet être vraiment divin et merveilleux, je passai ainsi la nuit entière. Sur ce point non plus, Socrate, tu ne me donneras pas de démenti. Malgré ces avances, loin de se laisser vaincre par ma beauté, il n’eut pour elle que dédain, dérision, insulte, et pourtant ma beauté n’était pas peu de chose à mes yeux, juges ; car je vous fais juges de la superbe de Socrate. Sachez-le, par les dieux, par les déesses, je me levai de ses côtés, après avoir passé la nuit tout comme si j’avais dormi avec mon père ou mon frère aîné (67).
XXXV. — À partir de ce moment, vous pouvez penser dans quel état j’étais. Je me croyais méprisé, et j’admirais néanmoins son caractère, sa continence et sa force d’âme ; j’avais rencontré un homme introuvable à mes yeux pour la sagesse et la fermeté. Le fait est que je ne pouvais lui en vouloir et renoncer à sa compagnie, et que d’autre part je ne voyais pas le moyen de le gagner ; car je le savais bien plus complètement invulnérable à l’argent qu’Ajax ne l’était au fer, et la seule amorce par laquelle j’espérais le prendre n’avait pu le retenir. J’étais donc embarrassé et j’allais, asservi à cet homme, comme nul ne le fut jamais à personne. Voilà ce qui m’était arrivé, quand vint l’expédition de Potidée (68) : nous y prîmes part tous deux et il se trouva que nous mangions ensemble. Tout d’abord pour les travaux de la guerre, il se montra supérieur non seulement à moi, mais encore à tous les autres. Par exemple, quand nous étions coupés de nos ravitaillements, comme il arrive à la guerre, et réduits à jeûner, les autres n’étaient rien auprès de lui pour supporter les privations. En revanche, faisions-nous bombance, il était homme à en