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XXXII. — Pour louer Socrate, Messieurs, je procéderai par comparaison ; lui croira peut-être que je veux le tourner en ridicule ; non, c’est un portrait réel et non une caricature que je veux tracer ainsi. Je dis donc qu’il ressemble tout à fait à ces Silènes qu’on voit exposés dans les ateliers des statuaires (61), et que l’artiste a représentés avec des syringes et des flûtes à la main ; si on les ouvre en deux, on voit qu’ils renferment à l’intérieur des statues de dieux. Je soutiens aussi qu’il ressemble au satyre (62) Marsyas. Que tu ressembles de figure à ces demi-dieux, Socrate, c’est ce que toi-même tu ne saurais contester ; mais que tu leur ressembles aussi pour le reste, c’est ce que je vais prouver. Tu es un moqueur, n’est-ce pas ? Si tu n’en conviens pas, je produirai des témoins. Mais je ne suis pas joueur de flûte, diras-tu. Si, tu l’es, et beaucoup plus merveilleux que Marsyas. Il charmait les hommes par l’effet des sons que sa bouche tirait des instruments, et on les charme encore quand on joue ses mélodies ; car les airs que jouait Olymipos (63) sont, suivant moi, de Marsyas, son maître ; en tout cas, qu’ils soient joués par un grand artiste ou par une méchante joueuse de flûte, ces airs ont seuls le pouvoir d’enchanter les cœurs, et, parce qu’ils sont divins, ils font reconnaître ceux qui ont besoin des dieux et des initiations. La seule différence qu’il y ait entre vous, c’est que tu en fais tout autant sans instruments, par de simples paroles. Quand on entend d’autres discours de quelque autre, fût-ce un orateur consommé, personne n’y prend pour ainsi dire aucun intérêt ; mais quand c’est toi qu’on entend, ou qu’un autre rapporte tes discours, si médiocre que soit le rapporteur, tous, femmes, hommes faits, jeunes garçons, nous sommes saisis et ravis.

Pour moi, mes amis, si je ne devais vous sembler tout à fait ivre, je prendrais les dieux à témoin de l’impression que ses discours ont produite et produisent toujours sur moi. Quand je l’entends, mon cœur palpite plus fort que celui des Corybantes, ses discours font jaillir les larmes de mes yeux, et je vois force gens qui éprouvent les mêmes émotions. En écoutant Périclès et d’autres grands orateurs, j’ai souvent pensé qu’ils parlaient bien ; mais je ne ressentais pas d’émotion pareille, mon cœur s’était pas troublé et je ne m’indignais pas d’avoir une âme d’esclave. Mais ce nouveau Marsyas m’a souvent mis dans des dispositions telles que je trouvais insupportable la vie que je menais.