Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien née, cette double beauté le séduit entièrement. En présence d’un tel homme, il sent aussitôt affluer les paroles sur la vertu, sur les devoirs et les occupations de l’homme de bien, et il entreprend de l’instruire ; et en effet, par le contact et la fréquentation de la beauté, il enfante et engendre les choses dont son âme était grosse depuis longtemps ; présent ou absent, il pense à lui et il nourrit en commun avec lui le fruit de leur union. De tels couples sont en communion plus intime et liés d’une amitié plus forte que les père et mère parce qu’ils ont en commun des enfants plus beaux et plus immortels. Il n’est personne qui n’aime mieux se voir de tels enfants que les enfants selon la chair, quand il considère Homère, Hésiode et les autres grands poètes, qu’il envie d’avoir laissé après eux des rejetons immortels qui leur assurent une gloire et une mémoire immortelles aussi ; ou encore, ajouta-t-elle, lorsqu’il se remémore quels enfants Lycurgue a laissés à Lacédémone pour le salut de cette ville et, on peut le dire, de la Grèce tout entière. Solon jouit chez vous de la même gloire, pour avoir donné naissance à vos lois, et d’autres en jouissent en beaucoup d’autres pays, grecs ou barbares, pour avoir produit beaucoup d’œuvres éclatantes et enfanté des vertus de tout genre : maints temples leur-ont été consacrés à cause de ces enfants spirituels ; personne n’en a obtenu pour des enfants issus d’une femme.

XXVIII. — On peut se flatter peut-être de t’initier, toi aussi, Socrate, à ces mystères de l’amour ; mais pour le dernier degré, la contemplation (55), qui en est le but, pour qui suit la bonne voie, je ne sais si ta capacité va jusque-là. Je vais néanmoins, dit-elle, continuer, sans ménager mon zèle ; essaye de me suivre, si tu peux. Quiconque veut, dit-elle, aller à ce but par la vraie voie, doit commencer dans sa jeunesse par rechercher les beaux corps. Tout d’abord, s’il est bien dirigé, il doit n’aimer qu’un seul corps et là enfanter de beaux discours. Puis il observera que la beauté d’un corps quelconque est sœur de la beauté d’un autre ; en effet, s’il convient de rechercher la beauté de la forme, il faudrait être bien maladroit pour ne point voir que la beauté de tous les corps est une et identique. Quand il s’est convaincu de cette vérité, il doit se faire l’amant de tous les beaux corps, et relâcher cet amour violent d’un seul, comme une chose de peu de prix, qui ne mérite que dédain. Il faut ensuite qu’il considère la beauté des âmes comme