notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature première. Si c’est là le bonheur suprême, il s’ensuit que ce qui s’en rapproche le plus dans le monde actuel est le plus grand bonheur que l’on puisse atteindre, je veux dire rencontrer un ami selon son cœur. S’il faut louer le dieu qui le procure, on a raison de louer Éros , qui, dans le présent, nous rend les plus grands services, en nous guidant vers l’objet qui nous est propre, et qui nous donne pour l’avenir les plus belles espérances, en nous promettant, si nous rendons aux dieux nos devoirs de piété, de nous remettre dans notre ancien état, de nous guérir et de nous donner le bonheur et la félicité.
Voilà, Érixymaque, mon discours sur Éros : il ne ressemble pas au tien. Je t’en prie encore une fois, ne t’en moque point ; mieux vaut écouter chacun de ceux qui restent ou plutôt les deux seuls qui restent, Agathon et Socrate. »
XVII. — D’après Aristodème, Érixymaque repartit : « Je t’obéirai, car j’ai eu du plaisir à t’entendre, et si je ne savais pas que Socrate et Agathon sont des maîtres en matière d’amour, je craindrais fort de les voir demeurer court, après tant de discours si divers ; néanmoins leur talent me rassure. »
Socrate répondit : « Tu as bien soutenu ta partie, Érixymaque ; mais si tu étais au point où j’en suis, ou plutôt où j’en serai, quand Agathon aura fait son beau discours, tu tremblerais, et même bien fort, et tu serais aussi embarrassé que je le suis à présent. — Tu veux me jeter un sort, Socrate, dit Agathon ; tu veux que je me trouble à la pensée que l’assemblée est dans une grande attente des belles choses que j’ai à dire. — J’aurais bien peu de mémoire, Agathon, répliqua Socrate, si, après t’avoir vu monter si bravement et si hardiment sur l’estrade avec les acteurs et regarder en face sans la moindre émotion une si imposante assemblée, au moment de faire représenter ta pièce, je pensais maintenant que tu vas te laisser troubler par le petit auditoire que nous sommes. — Eh quoi ! Socrate, dit Agathon, tu ne me crois pourtant pas si entêté de théâtre que j’aille jusqu’à ignorer que pour un homme sensé un petit nombre d’hommes sages est plus à craindre qu’une multitude d’ignorants. — J’aurais grand tort, Agathon, dit Socrate, de te croire si peu de goût ; je sais bien, au contraire, que