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et celui qui peut changer les dispositions du corps au point de substituer un amour à l’autre, et qui sait faire naître l’amour là où il n’est pas, mais devrait être, ou l’ôter de là où il se trouve, est un bon praticien. Un bon praticien, en effet, doit être capable d’établir l’amitié et l’amour entre les éléments les plus hostiles du corps. Or les éléments les plus hostiles sont les éléments les plus contraires, le froid et le chaud, l’amer et le doux, le sec et l’humide et les autres analogues. C’est parce qu’il sut mettre l’amour et la concorde entre ces éléments que notre ancêtre Asclèpios, au dire des poètes que je vois ici (29), et je les en crois, a fondé notre art. La médecine est donc, comme je l’ai dit, gouvernée tout entière par le dieu Éros , comme aussi la gymnastique et l’agriculture.

Quant à la musique, il est clair, pour peu qu’on y prête attention, qu’elle est dans le même cas. C’est peut-être ce qu’Héraclite voulait dire, bien qu’il ne se soit pas bien expliqué, quand il affirmait que l’unité s’opposant à elle-même produit l’accord, comme l’harmonie de l’arc et de la lyre (30). C’est une grande absurdité de dire que l’harmonie est une opposition ou qu’elle se forme d’éléments qui restent opposés ; mais peut-être voulait-il dire qu’elle est formée d’éléments auparavant opposés, l’aigu et le grave, mis d’accord ensuite par l’art musical. En effet, l’harmonie ne saurait naître de choses qui restent opposées, je veux dire l’aigu et le grave ; car qui dit harmonie dit consonance et qui dit consonance dit accord, et l’accord ne saurait résulter d’éléments opposés, tant qu’ils restent opposés ; et l’harmonie à son tour ne saurait résulter d’éléments opposés qui ne se mettent pas d’accord. De même que l’harmonie, le rythme est formé d’éléments d’abord opposés, ensuite accordés, les brèves et les longues. L’accord en tout cela, c’est la musique, comme plus haut la médecine, qui l’établit, en y mettant l’amour et la concorde, et l’on peut dire de la musique aussi qu’elle est la science de l’amour relativement à l’harmonie et au rythme.

Et il n’est pas difficile de distinguer le rôle de l’amour dans la constitution même de l’harmonie et du rythme. Ici il n’y a pas double amour ; mais quand il faut mettre en œuvre à l’usage des hommes le rythme et l’harmonie, soit en inventant, ce qui s’appelle composition, soit en appliquant correctement les airs et les mètres inventés, ce qu’on appelle instruction, c’est là qu’est la difficulté et qu’il faut un artiste habile ; car nous retrouvons ici le