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de leur âge et leurs camarades, lorsqu’ils les voient nouer de telles relations, leur en font honte, et que les vieillards, de leur côté, ne s’opposent pas à ces taquineries, n’en blâment pas les auteurs et ne leur trouvent point de tort, quand on considère, dis-je, ces procédés, on pourrait croire au contraire que l’amour des garçons passe ici pour une chose infamante.

Voici ce qui en est, à mon avis. L’amour n’est pas une chose simple. J’ai dit en commençant qu’il n’était de soi ni beau ni laid, mais que, pratiqué honnêtement, il était beau, malhonnêtement, laid. Or c’est le pratiquer malhonnêtement que d’accorder ses faveurs à un homme mauvais ou pour de mauvais motifs ; honnêtement, de les accorder à un homme de bien ou pour des motifs honorables. J’appelle mauvais l’amant populaire qui aime le corps plus que l’âme ; car son amour n’est pas durable, puisqu’il s’attache à une chose sans durée, et quand la fleur de la beauté qu’il aimait s’est fanée, « il s’envole et disparaît (26) », trahissant ses discours et ses promesses, tandis que l’amant d’une belle âme reste fidèle toute sa vie, parce qu’il s’est uni à une chose durable.

L’opinion parmi nous veut qu’on soumette les amants à une épreuve exacte et honnête, qu’on cède aux uns, qu’on fuie les autres ; aussi encourage-t-elle à la fois l’amant à poursuivre et l’aimé à fuir ; elle examine, elle éprouve à quelle espèce appartient l’amant, à quelle espèce, l’aimé. C’est pour cette raison qu’elle attache de la honte à se rendre vite : elle veut qu’on prenne du temps ; car l’épreuve du temps est généralement sûre. Il n est pas beau non plus de céder au prestige des richesses et du pouvoir, soit qu’on tremble devant la persécution et qu’on n’ose y résister, soit qu’on ne sache pas s’élever au-dessus des séductions de l’argent et des emplois ; car rien de tout cela ne paraît ni ferme ni stable, outre qu’une amitié généreuse ne saurait en sortir. Il ne reste donc, étant donné l’esprit de nos mœurs, qu’une seule manière honnête pour l’aimé de complaire à l’amant ; car de même qu’il n’y a, nous l’avons dit, ni bassesse ni honte dans la servitude volontaire, si complète soit-elle, de l’amant envers l’aimé, ainsi n’y a-t-il aussi qu’une autre servitude volontaire qui échappe au blâme c’est la servitude où l’on s’engage pour la vertu.

XI. — C’est une opinion qui fait loi chez nous que, si quelqu’un se résout à en servir un autre, parce qu’il espère, grâce à lui, faire des progrès dans la sagesse ou