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— Maintenant, continua Socrate, je ne conçois plus et je ne puis m’expliquer les autres causes, ces savantes causes qu’on nous donne. Mais si l’on vient me dire que ce qui fait qu’une chose est belle, c’est ou sa brillante couleur, ou sa forme ou quelque autre chose de ce genre, je laisse là toutes ces raisons, qui ne font toutes que me troubler, et je m’en tiens simplement, bonnement et peut-être naïvement à ceci, que rien ne la rend belle que la présence ou la communication de cette beauté en soi ou toute autre voie ou moyen par lequel cette beauté s’y ajoute ; car sur cette communication je n’affirme plus rien de positif, je dis seulement que c’est par le beau que toutes les belles choses deviennent belles. C’est là, je crois, la réponse la plus sûre que je puisse faire à moi-même et aux autres. En me tenant à ce principe, je suis persuadé que je ne ferai jamais de faux pas et que je puis, en toute sûreté, et tout autre comme moi, répondre que c’est par la beauté que les belles choses sont belles. Ne le crois-tu pas aussi ?

— Je le crois.

— Et que de même c’est par la grandeur que les choses grandes sont grandes et que les plus grandes sont plus grandes, et par la petitesse que les plus petites sont plus petites ?

— Oui.

— Tu n’approuverais donc pas non plus celui qui dirait qu’un homme est plus grand qu’un autre de la tête et que le plus petit est plus petit d’autant ; mais tu protesterais que toi, tu te bornes à dire ceci, c’est que tout objet plus grand qu’un autre ne l’est par rien d’autre que la grandeur et que c’est cela, la grandeur, qui le rend plus grand, et que le plus petit n’est plus petit par rien d’autre que la petitesse et que c’est pour cela, la petitesse, qu’il est plus petit. Car tu appréhenderais, je pense, qu’en disant qu’un homme est plus grand ou plus petit de la tête, tu ne tombes sur un contradicteur qui t’objecterait d’abord que c’est par la même chose que le plus grand est plus grand et le plus petit plus petit et ensuite que c’est par la tête, qui est petite, que le plus grand est plus grand, et que c’est un prodige qu’un homme soit grand par quelque chose de petit. Ne craindrais-tu pas ces objections ?

— Si, dit Cébès en riant.

— Tu craindrais donc, reprit Socrate, de dire que dix est plus grand de deux que huit et que c’est par cette