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puisque ce qui était moins durable que lui n’a point péri.

Mais la réalité, Simmias, est, à mon avis, tout autre.

Fais attention, toi aussi, à ce que je dis. Le premier venu peut comprendre la sottise d’un pareil raisonnement. Car’ ce tisserand, après avoir usé un grand nombre de ces vêtements tissés par lui-même, est mort après eux, tout nombreux qu’ils étaient, mais, je pense, avant le dernier, et un homme n’est pas pour cela plus chétif ni plus faible qu’un habit. Cette image s’appliquerait bien, je pense, à l’âme et au corps, et il serait juste de dire d’eux que l’âme dure longtemps et que le corps est plus faible et moins durable ; car on pourrait dire que chaque âme use plusieurs corps, surtout si la vie dure de longues années ; si en effet le corps s’écoule et se dissout, pendant que l’homme vit encore, mais que l’âme retisse toujours ce qui est usé, il s’ensuit nécessairement que, quand l’âme vient à périr, elle porte le dernier vêtement qu’elle a tissé et que c’est le seul avant lequel elle meurt, tandis que, quand l’âme a péri, le corps montre tout de suite sa faiblesse naturelle et se dissout vite en pourrissant. Par conséquent nous ne sommes pas encore en droit d’avoir confiance, sur la foi de cet argument, qu’après notre mort notre âme subsiste encore quelque part.

Si en effet on accordait à celui qui soutient cette opinion plus encore que tu ne le fais toi-même, si on lui accordait non seulement que nos âmes ont existé dans le temps qui a précédé notre naissance, mais que rien n’empêche, même après notre mort, quelques-unes d’exister encore, de prolonger leur existence, de naître plusieurs fois et de mourir de nouveau, parce que l’âme est naturellement assez forte pour résister à plusieurs naissances ; si on accordait cela, mais qu’on refusât d’accorder qu’elle ne se fatigue pas dans ses nombreuses naissances et qu’elle ne finit point par périr tout à fait dans une de ses morts ; si l’on ajoutait que cette mort et cette dissolution du corps qui porte à l’âme le coup fatal, personne ne la connaît, car il est impossible à qui que ce soit d’entre nous d’en avoir le sentiment, en ce cas tout homme qui affronterait la mort avec confiance, serait un insensé, à moins de pouvoir démontrer que l’âme est absolument immortelle et impérissable. Autrement l’homme qui va mourir doit toujours craindre que son âme ne périsse radicalement au moment où elle se sépare du corps. »