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lument exempts ni de mal, ni d’ignorance, ne sont pas cependant pervertis par eux au point de n’avoir pas la conscience de leur état, et restent encore capables de se rendre compte de ce qu’ils ne savent pas. Ceux-là, qui ne sont ni bons ni mauvais, aiment la sagesse, tandis que ceux qui sont ou tout à fait bons ou tout à fait mauvais ne la sauraient aimer. Nous avons, en effet, démontré tout à l’heure que le contraire n’est pas l’ami de son contraire, ni le semblable de son semblable, vous le rappelez-vous ? — Parfaitement. — Je crois qu’à présent, Lysis et Ménexène, nous avons découvert plus clairement que jamais ce qui est l’ami et ce qui ne l’est pas. Nous disons donc que par rapport à l’âme, par rapport au corps, partout enfin, ce qui n’est ni bon ni mauvais est l’ami de ce qui est bon à cause de la présence du mal. — Tous deux l’accordèrent, et tous deux convinrent qu’il en était ainsi pour tout.

Moi-même je me sentis d’abord très-heureux, et tout aise, comme le chasseur qui vient d’atteindre sa proie ; et puis, je ne sais comment, un soupçon terrible me vint que nous n’avions pas encore rencontré la vérité. Et aussitôt : Ah ! Lysis et Ménexène, m’écriai-je tout troublé, nous courons risque de n’avoir fait qu’un beau rêve ? — Pourquoi donc ? me demanda Ménexène. — Je crains, lui répondis-je, que nous n’ayons été dupes de nos discours sur l’amitié, comme on est dupe de charlatans. — Comment cela ? — Nous allons en juger bientôt : Celui qui aime, aime-t-il quelque chose, ou non ? — Quelque chose nécessairement. — Ne l’aime-t-il pour