Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143 a
29
SECOND ALCIBIADE

rance est cause, pour les hommes, de bien des maux, puisque, selon toute apparence, bc’est à notre insu que, par elle, nous agissons mal nous-mêmes et que, pour comble de misère, nous nous souhaitons à nous-mêmes les pires choses. Voilà ce que personne ne croirait, mais chacun se jugerait capable de souhaiter pour soi le bien et non le mal. Car, en vérité, cela ressemblerait plutôt à une imprécation qu’à une prière.


Cas ou l’ignorance
est préférable.

Socrate. — Peut-être, excellent ami, quelqu’un plus avisé que toi et moi, dirait que nous ne parlons pas correctement en blâmant ainsi à la légère l’ignorance, — à moins d’ajouter : cl’ignorance de certaines choses, pour certaines gens et dans certains cas est un bien, comme elle est un mal pour d’autres.

Alcibiade. — Que dis-tu ? Peut-il y avoir une chose que, dans n’importe quelle situation, il soit meilleur d’ignorer que de connaître ?

Socrate. — Il me le semble ; pas à toi ?

Alcibiade. — Non certes, par Zeus.

Socrate. — En vérité, je ne t’imputerai pas ce crime de vouloir tramer contre ta propre mère ces machinations que l’on rapporte d’Oreste, d’Alcméon[1] et de tous ceux, s’il en fut quelque autre, dqui ont accompli semblables actions.

Alcibiade. — De grâce, parle mieux, Socrate.

Socrate. — Ce n’est pas à celui qui dit que tu ne voudrais pas avoir accompli cette action qu’il faut demander de mieux parler, Alcibiade, mais bien plutôt à celui qui affirmerait le contraire, puisque cet acte te paraît si horrible qu’il ne faut même pas en prononcer le nom à la légère. Crois-tu qu’Oreste, s’il avait été dans son bon sens et s’il eût connu ce qu’il lui était meilleur de faire, aurait osé commettre un pareil crime ?

Alcibiade. — Non, certes.

eSocrate. — Ni personne autre, je suppose.

    spécifier aucun bien particulier, comme la puissance, la beauté, la richesse… (Diod. X, 9, 8). — Une formule semblable est attribuée à Socrate par Xénophon : καὶ εὔχετο δὲ πρὸς θεοὺς ἁπλῶς τἀγαθὰ διδόναι. Les dieux, ajoutait le philosophe, savent assez quels sont les biens (Mémor. I, 3, 2).

  1. Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, vengea la mort