Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139 a
23
SECOND ALCIBIADE

Alcibiade. — Que veux-tu dire ?

Socrate. — Crois-tu que nécessairement l’on soit sensé ou dépourvu de bon sens, ou y a-t-il un troisième état intermédiaire boù l’homme ne serait ni l’un ni l’autre ?

Alcibiade. — Pas du tout.

Socrate. — Il faut donc nécessairement être l’un ou l’autre.

Alcibiade. — À ce qu’il me paraît.

Socrate. — Te souviens-tu d’avoir accordé que la folie était le contraire du bon sens ?

Alcibiade. — Oui.

Socrate. — Et aussi, n’est-ce pas, qu’il n’y a pas de troisième état intermédiaire qui fasse que l’homme ne soit ni sensé ni insensé ?

Alcibiade. — Je l’ai accordé, en effet.

Socrate. — Or, serait-ce possible qu’il y ait deux contraires pour un même objet[1] ?

Alcibiade. — En aucune manière.

cSocrate. — Donc manque de bon sens et folie ont toute chance d’être une seule et même chose.

Alcibiade. — Il le paraît.

Socrate. — Par conséquent, Alcibiade, en disant que les gens privés de bon sens sont tous des fous, nous nous exprimerions correctement. Tels sont, par exemple, ceux de tes compagnons, s’il y en a qui manquent de bon sens, et il y en a, et de même des gens plus âgés. Car, par Zeus, ne crois-tu pas que, dans la ville, ils sont peu nombreux ceux qui ont du bon sens et que les plus nombreux sont bien ceux qui en manquent et qui sont ainsi, d’après toi, des fous ?

Alcibiade. — Mais oui.

Socrate. — T’imagines-tu que ce serait gai pour nous de vivre en société avec tant de fous, et ne penses-tu pas que battus, frappés, dtraités comme savent traiter les fous, nous en serions punis depuis longtemps ? Vois donc, mon cher, si la chose est possible.

  1. Ce principe est énoncé dans le dialogue Protagoras : à chacun des contraires s’oppose un contraire unique, et jamais plusieurs (332 c). L’application sophistique qui en découle (i. e. l’identité de l’ἀφροσύνη et de la (μανία), est propre au dialogue pseudo-platonicien, mais l’auteur ne l’accepte pas, et on ne doit pas voir ici le développement du thème stoïcien : ὅτι πᾶς ἄφρων μαίνεται. Cf. la notice, p. 10.