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SECOND ALCIBIADE

πολυμαθία et la πολυτεχνία, c’est-à-dire la science qui ne s’accompagne pas de la connaissance du Bien, viseraient l’école aristotélicienne et témoigneraient des ardentes controverses qui mettaient alors aux prises platoniciens et péripatéticiens. Aristote avait donné une très grande impulsion aux recherches scientifiques naturelles et ses disciples le suivaient dans cette voie. N’est-ce donc pas contre une telle déviation de l’esprit philosophique que proteste un des adeptes du platonisme pythagorisant ? Tandis qu’à cette époque, les préoccupations morales tendent à prendre à l’Académie une place prépondérante, c’est l’érudition, au contraire, qui, après la mort d’Aristote, prédomine au Lycée[1].

Quelque séduisante que soit l’hypothèse, elle ne me paraît pas nécessaire pour expliquer les textes. Ici encore, l’auteur du dialogue pouvait fort bien paraphraser ou même simplement reproduire une doctrine qu’il avait trouvée dans les œuvres de Platon. L’Athénien des Lois, par exemple, blâme les poètes qui veulent surcharger la mémoire et l’esprit des enfants, s’imaginant que l’érudition communique la vertu et la sagesse (VII, 811 a)[2]. Plus loin, tout comme dans le second Alcibiade, il préfère l’ignorance à cette masse de connaissances mal digérées : οὐδαμοῦ γὰρ δεινὸν οὐδὲ σφοδρὸν ἀπειρία τῶν πάντων οὐδὲ μέγιστον κακόν, ἀλλ’ ἡ πολυπειρία καὶ πολυμαθία μετὰ κακῆς ἀγωγῆς γίγνεται πολὺ τούτων μείζων ζημία (VII, 819 a). D’ailleurs, ce thème est courant chez les rhéteurs grecs depuis Héraclite, et ceux-ci ont dénoncé plus d’une fois les abus d’une science qui nuit au développement moral de la vie[3].

Nous ne croyons donc pas qu’on puisse reconnaître avec certitude dans le second Alcibiade une attitude d’hostilité vis-à-vis de quelque école. L’auteur est un socratique et un platonicien fidèle aux enseignements de ses deux maîtres. Il dut probablement écrire vers la fin du ive siècle ou dans le courant du iiie. Il chercha surtout à répandre autour de lui les idées de religion intérieure fondées sur la justice et la sagesse de l’âme, idées qui prédominaient alors dans le milieu de l’Académie.

  1. Brünnecke, op. cit., p. 97.
  2. Cf. également Théétète, 176 c.
  3. Voir Isocrate, Discours Panathénaïque, X et XI.