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SECOND ALCIBIADE

Pourquoi ce sujet jouit-il si longtemps d’une telle faveur ? La figure d’Alcibiade restait, sans doute, populaire : le jeune aristocrate représentait pour tous le type du bel animal humain, spontané dans ses réactions et incapable de se plier à la moindre discipline. Sa vigoureuse personnalité se prêtait, mieux que toute autre, aux développements dramatiques ou pittoresques. Mais un motif plus pressant inspirait les cercles socratiques. Le maître avait été condamné comme corrupteur de la jeunesse et le peuple désignait ceux qui avaient subi l’influence de son enseignement sophistique. En premier lieu, évidemment, on citait Alcibiade. Le rhéteur Polycrate, dans un pamphlet fameux, avait vulgarisé l’accusation[1]. Ne fallait-il pas répondre aux calomnies qui continuaient à courir après la mort de Socrate et, pour cela, exposer la vraie nature des relations qui avaient uni les deux hommes ? Des procédés très divers furent mis en œuvre par ces apologistes. Xénophon, dans l’unique passage des Mémorables où il est question des rapports de Socrate et d’Alcibiade (I, 2), s’efforce de démontrer : 1o que les intentions d’Alcibiade, en se mettant à l’école de Socrate, étaient surtout ambitieuses ; 2o qu’Alcibiade sut se contenir tant qu’il resta attaché à son maître, mais 3o qu’il eut aussi d’autres guides et que Socrate, par conséquent, ne peut être tenu pour responsable de ses folies.

Les dialogistes, eux, dramatisent les enseignements que le maître donnait à son disciple et font ressortir ainsi la pureté de vues et la sagesse des leçons socratiques. Les fragments qui subsistent permettent-ils d’établir la filiation des différents ouvrages d’Eschine, d’Antisthène, de Xénophon et des deux dialogues platoniciens ? Dittmar a tenté l’épreuve[2], mais ses résultats restent bien fragiles. Les fragments d’Eschine ou d’Antisthène sont par trop rares pour justifier la thèse du critique allemand. Il ne suffit pas de rapprocher quelques bouts de textes ou quelques mots, ou encore de reconnaître une analogie entre les thèmes développés. D’autant plus que tous ces écrits devaient s’appuyer sur une tradition vivante : on se racontait, sans doute, des conversations de Socrate et d’Alcibiade. Certains thèmes très généraux,

  1. Cf. Isocrate, Busiris, XI, 5.
  2. H. Dittmar, Aischines von Sphettos. Berlin, Weidmann, 1912.