Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
THÉAGÈS

soit dans la tradition orale, une série d’anecdotes contées, sans doute, dans le but d’expliquer le merveilleux ascendant exercé par Socrate sur plusieurs de ses disciples, et la nature de son influence. Ces récits, parfois extraordinaires, accréditaient l’opinion que l’infatigable questionneur à la figure de Silène, toujours à l’affût d’une proie nouvelle sur les places publiques ou dans les boutiques d’artisans, sophiste à dégonfler, jeune naïf à mettre en garde contre des chimères, — ne ressemblait pas aux autres hommes. Il avait, prétendait-il, une mission à remplir, il se tenait en relations constantes avec une divinité dont il écoutait religieusement les oracles, il se regardait comme une sorte d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Aux affirmations de Socrate, la renommée, toujours généreuse, ajoutait encore, et, peu à peu, se forma une légende dont nous trouvons un écho dans Théagès, légende qui tendait à faire de Socrate un thaumaturge presque autant qu’un maître de sagesse. Pour comprendre la portée du dialogue attribué à Platon, il ne sera pas inutile d’essayer de suivre les transformations progressives du personnage historique.

« Voici, écrit Cicéron, ce que nous avons entendu dire de Socrate et ce qu’il répète lui-même fréquemment dans les livres socratiques : il y a quelque chose de divin qu’il appelle daemonion et auquel il obéit : cette chose ne le pousse jamais et, par contre, l’empêche souvent[1] ». Parmi ces livres socratiques, il faut citer en première ligne les dialogues de Platon dont Cicéron reproduit ici un passage. Dans l’Apologie, en effet, Socrate explique à ses juges pourquoi il ne s’est jamais mêlé de politique : « Cela tient, dit-il, comme vous me l’avez souvent entendu déclarer et en maint endroit, — à une certaine manifestation d’un dieu ou d’un esprit divin, qui se produit en moi, et dont Mélétos a fait le sujet de son accusation, en s’en moquant. C’est quelque chose qui a commencé dès mon enfance, une certaine voix, qui, lorsqu’elle se fait entendre, me détourne toujours de ce que

  1. « Hoc nimirum est illud, quod de Socrate accepimus, quodque ab ipso in libris Socralicorum saepe dicitur, esse diuinum quiddam, quod daemonion appellat, cui semper ipse paruerit, nunquam impellenti, saepe reuocanti » (De diuinatione, I, 54).