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LETTRE VII

vite possible, et toi, en attendant, tu ne modifieras rien à sa situation. » Cela fut dit et arrêté entre nous à peu près en ces termes. — Là-dessus, les vaisseaux mirent à la voile et il ne m’était plus possible de m’embarquer, quand Denys songea à m’avertir que la moitié seulement des biens d devait appartenir à Dion et l’autre moitié à son fils. Aussi, ajouta-t-il, il réaliserait cette fortune, m’en donnerait la moitié que j’emporterais, et réserverait l’autre moitié à l’enfant : c’était là le parti le plus juste. Ces paroles me consternèrent, mais je jugeais ridicule d’ajouter un mot. Je fis pourtant remarquer qu’il fallait attendre la lettre de Dion et lui faire connaître ce revirement. Mais Denys se mit tout aussitôt à vendre audacieusement la fortune entière du proscrit e où et comme il lui plaisait et à qui bon lui semblait. À moi, il ne souffla plus mot de l’affaire et, de mon côté, je ne l’entretins plus des intérêts de Dion, car je voyais que c’était inutile[1].

Jusque-là donc, je suis venu en aide de cette manière à la philosophie et à mes amis. Désormais, à Denys et à moi, notre existence fut telle : moi, 348 je regardais au dehors, comme un oiseau qui désire s’envoler de sa cage[2], et lui manigançait le moyen de m’apaiser[3] sans rien me rendre des biens de Dion. Et pourtant, nous nous prétendions amis devant toute la Sicile. — Sur ces entrefaites, Denys voulut diminuer la solde des mercenaires vétérans, contrairement aux traditions de son père. Mais les soldats furieux firent une réunion et décidèrent de s’y opposer. Le tyran essaya de la force en faisant fermer les portes de b l’acropole ; eux se portèrent aussitôt contre les murailles en chantant le péan guerrier des barbares. Alors Denys, très effrayé, céda complètement et

  1. Le résumé de tout ce récit et de la scène suivante se trouve dans la Lettre III (318 a b c d). Les termes sont souvent reproduits textuellement, mais certaines divergences de rédactions montrent que tous n’ont pas été compris dans leur vrai sens. — Voir à ce sujet la notice particulière.
  2. Cf. Phèdre, 249 d : προθυμούμενος ἀναπτέσθαι, ἀδυνατῶν δέ, ὄρνιθος δίκην βλέπων ἄνω, τῶν κάτω δὲ ἀμελῶν.
  3. Le verbe ἀνασοβεῖν a le sens d’effrayer (Lysis, 206 a), mais il signifie encore le résultat produit par la crainte qui est de réduire au silence, de calmer. C’est ainsi qu’on doit le comprendre dans ce passage, comme l’impose le contexte. Denys cherche le moyen d’apaiser Platon, tout en réalisant ses desseins, c’est-à-dire en confisquant les biens de Dion.