Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327 c
32
LETTRE VII

rendre le plus vite possible à Syracuse pour coopérer à ses desseins : il n’oubliait pas avec quelle facilité notre liaison lui avait inspiré d le désir de la vie belle et heureuse. Que si maintenant il inspirait ce même désir à Denys, comme il le tentait, il avait le plus grand espoir d’établir dans tout le pays, sans massacres, sans meurtres, sans tous ces maux qui se sont produits actuellement, une vie heureuse et vraie. Plein de ces justes pensées, Dion persuada à Denys de m’appeler, et lui-même me fit prier de venir au plus vite, n’importe comment, avant que d’autres influences[1] ne s’exerçassent sur Denys pour e l’engager dans une existence qui serait autre que la vie parfaite. Voici quelles étaient ses instances, dussé-je être un peu long : « Quelle occasion meilleure attendrions-nous, disait-il, que celle que nous offre actuellement la faveur divine ? » Là-dessus, il me représentait cet empire d’Italie et de Sicile et la puissance 328 qu’il y avait, la jeunesse de Denys et son goût très vif pour la philosophie et la science, ses neveux et ses parents[2], si faciles à gagner à la doctrine et à la vie que je ne cessais de prôner, et tout prêts à faire pression sur Denys. En somme, jamais, plus qu’à présent, on ne pouvait espérer réaliser l’union dans les mêmes hommes de la philosophie et de la conduite des grandes cités. Telles b étaient ses exhortations et bien d’autres du même genre. Mais moi, d’une part, je n’étais pas sans inquiétude au sujet des jeunes, sur ce qu’il adviendrait un jour, — car leurs désirs sont prompts et changent souvent en sens contraires, — je savais d’autre part que Dion possédait un caractère naturellement grave et qu’il était d’un âge déjà mûr. Comme je réfléchissais et me demandais avec

  1. Plusieurs philosophes ou sophistes se trouvaient à cette époque à la cour de Denys : Polyxène, Eschine le Socratique, Aristippe de Cyrène furent les hôtes du tyran. Ce dernier, qui se piquait de bel esprit, attirait facilement par ses prodigalités une nuée de flatteurs. On comprend que Dion se soit méfié des intentions peu désintéressées de ces pseudo-philosophes.
  2. Il ne s’agit pas ici d’Hipparinos, qui était alors trop jeune pour pouvoir exercer une influence sur son demi-frère. Mais, d’après le scoliaste de la Lettre IV, les deux frères de Denys l’Ancien auraient épousé les sœurs de Dion. Il existait donc probablement à la cour de Syracuse plusieurs neveux de Dion du même âge ou à peu près que Denys le Jeune.