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LA RÉPUBLIQUE X

cendants. Ne les interrogeons pas non plus sur les autres arts : faisons-leur en grâce. Mais pour les sujets les plus importants et les plus beaux dont Homère s’est mêlé de parler, tels que la guerre, le commandement des armées, l’administration des États, l’éducation de l’homme, dil est peut-être juste de l’interroger et de lui dire : « Cher Homère, s’il est vrai qu’en ce qui regarde la vertu tu ne sois pas éloigné de trois degrés de la vérité, et que tu ne sois pas le simple ouvrier d’images que nous avons dénommé imitateur ; si tu t’élèves jusqu’au second degré et si tu fus jamais capable de connaître quelles institutions rendent les hommes meilleurs ou pires dans la vie privée et dans la vie publique, dis-nous quel État te doit la réforme de son gouvernement, comme Lacédémone en est redevable à Lycurgue et beaucoup d’États grands et petits à beaucoup d’autres. eQuel État reconnaît que tu as été un bon législateur et que tu lui as fait du bien ? L’Italie et la Sicile ont eu Charondas[1], et nous, Solon ; mais toi, dans quel État as-tu légiféré ? » Pourrait-il en citer un ?

Je ne le pense pas, dit Glaucon ; les Homérides eux-mêmes n’en disent rien.

600Mais fait-on mention d’une guerre qui ait eu lieu de son temps et qu’il ait heureusement conduite par lui-même ou par ses conseils ?

D’aucune.

Mais le donne-t-on pour un homme habile dans les travaux et cite-t-on de lui mainte invention ingénieuse dans les arts ou dans tout autre domaine d’activité, comme on le fait de Thalès de Milet et d’Anacharsis le Scythe[2] ?

On n’en cite rien de tel.

Mais ce qu’il n’a point fait pour les États, l’a-t-il fait pour les particuliers ? en est-il dont il passe pour avoir dirigé lui-même l’éducation pendant sa vie, qui l’aient aimé pour ses leçons et qui aient transmis à la postérité bun plan de vie homérique, comme Pythagore qui fut extraordinairement

  1. Charondas de Catane, en Sicile, législateur des colonies de Chalcis en Italie et en Sicile (vie siècle), n’est pas mentionné ailleurs par Platon ; mais il l’est souvent par Aristote.
  2. Sur les inventions de Thalès, voir J. Bidez, Les premiers philosophes grecs techniciens et expérimentateurs (extrait du Flambeau 1921), p. 9 sqq. On attribuait à Anacharsis l’invention de l’ancre et de la roue de potier.