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LA RÉPUBLIQUE IV

C’est tout à fait cela, répliqua-t-il.

« Être maître de soi », n’est-ce pas une expression ridicule ? car celui qui est maître de lui-même est aussi, n’est-ce pas ? esclave de lui-même, et celui qui est esclave de lui-même est aussi son propre maître, 431puisque c’est au même homme que ces dénominations s’appliquent dans tous les cas.

Sans doute.

Mais, repris-je, il me semble que le sens de cette expression est qu’il y a dans l’âme même de l’homme deux parties, l’une meilleure, l’autre moins bonne. Quand la partie qui est naturellement la meilleure maintient la moins bonne sous son empire, on le marque par l’expression « être maître de soi », et c’est un éloge. Quand au contraire, par suite d’une mauvaise éducation ou de certaine fréquentation, la partie la meilleure, se trouvant plus faible, est vaincue par les forces de la mauvaise, alors on dit de l’homme qui est en cet état, bet c’est un reproche et un blâme, qu’il est esclave de lui-même et intempérant.

Cette explication me semble juste, dit-il.

Maintenant, continuai-je, tourne les yeux vers notre nouvel État : tu y verras réalisé l’un des deux cas précédents ; tu reconnaîtras en effet qu’il a droit à ce titre de « maître de lui-même », puisque celui chez qui la partie la meilleure commande à la mauvaise doit être réputé tempérant et maître de lui-même.

Je regarde notre État, dit-il, et je vois que tu dis vrai.

cCe n’est pas cependant qu’on n’y trouve une multitude de passions, de plaisirs et de peines de toute espèce, surtout chez les enfants, les femmes[1], les serviteurs, et chez la plupart de ceux qu’on appelle des hommes libres, en dépit de leur peu de valeur.

C’est vrai.

Mais les désirs simples et modérés, qui, sensibles au raisonnement, se laissent guider par l’intelligence et l’opinion juste, tu ne les trouveras que dans un petit nombre de gens, ceux qui joignent au plus beau naturel la plus belle éducation.

  1. Ici Platon parle suivant l’idée commune que les Grecs se faisaient de la femme. Mais en admettant les femmes aux fonctions de gardiennes, il reconnaît qu’elles sont capables de régler leurs désirs par l’intelligence (μετὰ νοῦ).