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LA RÉPUBLIQUE VII


Dangers
de la dialectique
mal pratiquée.

eNe remarques-tu pas, répondis-je, le mal dont la dialectique est atteinte aujourd’hui, et quelles proportions il prend ?

Quel mal ? dit-il.

Elle se remplit, répondis-je, de désordre.

Ce n’est que trop vrai, dit-il.

Crois-tu, dis-je, que ce qui arrive aux jeunes dialecticiens soit surprenant, et ne les excuses-tu pas ?

Par où sont-ils excusables ? demanda-t-il.

Ils sont, repris-je, dans le cas d’un enfant supposé[1], nourri au sein des richesses, 538dans une famille nombreuse et considérable, au milieu d’une foule de flatteurs, et qui, arrivant à l’âge d’homme, s’apercevrait qu’il n’est pas le fils de ceux qui se disent ses parents et ne pourrait retrouver ses parents véritables. Peux-tu deviner quels seraient ses sentiments à l’égard de ses flatteurs et de ses prétendus parents, et avant qu’il eût connaissance de sa supposition, et après qu’il en serait instruit ? ou veux-tu écouter ce que je m’en imagine.

Je le veux bien, dit-il.


XVII  Eh bien, repris-je, je m’imagine qu’il aurait plus de respect pour son père bet sa mère et ses parents supposés que pour ses flatteurs, qu’il les négligerait moins, s’ils étaient dans l’indigence, qu’il les maltraiterait moins en actes et en paroles, que dans les choses essentielles il leur désobéirait moins qu’à ses flatteurs, pendant le temps qu’il ignorerait la vérité.

C’est vraisemblable, dit-il.

Puis, quand il connaîtrait son véritable état, je m’imagine au rebours que son respect et ses soins se relâcheraient envers ses parents, s’accroîtraient envers ses flatteurs, qu’il les écouterait plus docilement qu’auparavant, cqu’il se conduirait désormais suivant leurs conseils, qu’il vivrait avec eux publiquement, tandis qu’il ne se soucierait plus de ce père et

  1. On peut voir l’origine de cette comparaison dans Criton 50 d où Platon assimile les lois au père et à la mère. « N’est-ce pas à nous que tu dois la naissance ?… Et après que tu as été mis au monde,