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LA RÉPUBLIQUE VII

C’est vrai, dit-il.

Or justement notre gardien est à la fois guerrier et philosophe.

Sans doute.

Il conviendrait donc, Glaucon, de rendre cette science obligatoire, et de persuader à ceux qui sont destinés à remplir les plus hautes fonctions de l’État cd’en entreprendre l’étude et de s’y appliquer, non pas superficiellement, mais jusqu’à ce qu’ils arrivent par la pure intelligence à pénétrer la nature des nombres, non point pour la faire servir, comme les négociants et les marchands, aux ventes et aux achats, mais pour en faire des applications à la guerre et pour faciliter à l’âme elle-même le passage du monde sensible à la vérité et à l’essence.

C’est très bien parler, dit-il.

Et vraiment j’aperçois maintenant, repris-je, après vous avoir entretenus de cette science des nombres, dcombien elle est belle et utile à maint égard à notre dessein, quand on s’en occupe pour la connaître, et non pour en trafiquer.

Qu’est-ce qui la rend donc si précieuse ? demanda-t-il.

C’est que, comme je viens de le dire, elle donne à l’âme un puissant élan vers la région supérieure, et la force à raisonner sur les nombres en eux-mêmes[1], sans jamais souffrir qu’on introduise dans ses raisonnements des nombres qui représentent des objets visibles ou palpables. Tu sais en effet, je pense, ece que font ceux qui sont versés dans cette science : si l’on veut, en discutant avec eux, diviser l’unité proprement dite, ils se moquent et ne veulent rien entendre. Si tu la divises, eux la multiplient d’autant, dans la crainte que l’unité n’apparaisse plus comme une, mais comme un assemblage de parties.

C’est très vrai, dit-il.

526Que crois-tu, Glaucon, si on leur posait cette question :

« Ô merveilleux savants, de quels nombres disputez-vous,

  1. Les nombres en eux-mêmes sont pour Platon des nombres mathématiques individuels et rien de plus. Ils tiennent le milieu entre les objets sensibles et les Idées. Sur ce sujet, voyez Léon Robin, La théorie platonicienne des Idées et des nombres, p. 265 ; Shorey, De Platonis idearum doctrina (1888) ; The Unity of Plato’s Thought, 1903, p. 82 ; Ideas and Numbers again dans Classical Philology, XXII, 1927, no 2 ; Ross, Aristotle’s Metaphysics I, p. liii-lvi (Oxford, 1924).