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LA RÉPUBLIQUE VII

que je veux dire. Voici, dis-je, trois doigts : le pouce, l’index et le majeur.

Bien, dit-il.

Conçois en outre que je les suppose vus de près, puis fais avec moi cette observation sur eux.

Laquelle ?

Chacun d’eux paraît également un doigt ; et peu importe à cet égard qu’on le voie dau milieu ou à l’extrémité, blanc ou noir, gros ou menu, et ainsi de toutes les qualités du même genre ; car en tout cela l’âme chez la plupart des hommes[1] n’est pas obligée de demander à l’entendement ce que c’est qu’un doigt, parce qu’en aucun cas la vue ne lui a témoigné en même temps qu’un doigt fût autre chose qu’un doigt.

Non certes, dit-il.

Il est donc naturel, repris-je, qu’une telle sensation n’excite ni ne réveille el’entendement.

C’est naturel.

Mais s’il s’agit de la grandeur ou de la petitesse des doigts, la vue les discerne-t-elle suffisamment, et lui est-il indifférent que l’un d’eux soit au milieu ou à l’extrémité ? et pareillement le toucher sent-il suffisamment l’épaisseur et la minceur, la mollesse et la dureté ? et en général les sens ne sont-ils pas insuffisants à juger de telles qualités ? N’est-ce pas ainsi que chacun d’eux procède ? D’abord le sens qui est chargé de percevoir ce qui est dur 524a été nécessairement chargé aussi de percevoir ce qui est mou, et il rapporte à l’âme que le même objet lui donne une sensation de dureté et de mollesse.

Il en est ainsi, dit-il.

N’est-il pas inévitable, repris-je, qu’en pareil cas l’âme, de son côté, soit perplexe[2] et se demande ce que signifie une

  1. Certains critiques ont voulu supprimer « chez la plupart des hommes » (τῶν πολλῶν), à tort ; car la pensée de Platon est qu’il y a des hommes que la nature a doués d’une curiosité si vive que même des perceptions aussi simples suffisent à éveiller leur entendement et à les lancer dans la recherche scientifique.
  2. La perplexité (ἀπορεῖν) est un mot socratique. Chez Platon, comme chez Socrate, c’est le principe de la science. Voir Ménon 80 a et Théétète 151.