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LA RÉPUBLIQUE VII

dans le vôtre, pour être ce que sont les chefs et les rois dans les essaims d’abeilles[1], et nous vous avons donné une éducation plus parfaite et plus complète cque celle des philosophes étrangers, et nous vous avons rendus plus capables qu’eux d’allier la philosophie à la politique. Vous devez donc, chacun à votre tour, descendre dans la demeure commune aux autres et vous habituer à regarder les ombres obscures ; car une fois habitués à l’obscurité, vous y verrez mille fois mieux que les autres, et vous reconnaîtrez chaque image et ce qu’elle représente, parce que vous aurez vu les véritables exemplaires du beau, du juste et du bien. Ainsi notre constitution deviendra, pour nous et pour vous une réalité, et non un rêve, comme dans la plupart des États d’aujourd’hui, où les chefs se battent pour des ombres det se disputent l’autorité, comme si c’était un grand bien. Mais voici quelle est la vérité, c’est que l’État où le commandement est réservé à ceux qui sont les moins empressés à l’obtenir est forcément le mieux et le plus paisiblement gouverné, et que c’est le contraire dans l’État où les maîtres sont le contraire. »

C’est parfaitement vrai, dit-il.

Eh bien, nos élèves refuseront-ils, à ton avis, de se rendre à ces raisons ? Ne consentiront-ils pas à prendre part au labeur politique chacun à leur tour, tout en passant la plus grande partie de leur temps les uns avec les autres dans le monde des idées pures ?

Ils ne pourront refuser, dit-il ; car ils sont justes, et nous ne leur demandons rien que de juste : emais il est indubitable que chacun d’eux ne prendra le commandement que par devoir, au rebours de ceux qui gouvernent à présent dans tous les États.

La chose est ainsi, mon ami, répliquai-je. Si tu découvres pour ceux qui doivent commander une condition meilleure que le pouvoir lui-même, 521tu auras le moyen d’avoir un État bien gouverné ; car c’est dans cet État seul que commanderont ceux qui sont vraiment riches, non en or, mais en vertu et en sagesse, qui sont les richesses nécessaires au bonheur. Mais là où des gueux et des gens affamés de richesses

  1. Ceci est probablement une comparaison familière dans les cercles socratiques. Cf. Xén., Cyr. V, 1, 24 : « Tu me parais fait pour être roi, comme le roi des abeilles est roi dans la ruche. »