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LA RÉPUBLIQUE VII

qu’on lui donne, devient utile et avantageuse, ou inutile et nuisible. 519N’as-tu pas encore remarqué, à propos des fripons qu’on appelle des malins, combien leur misérable esprit a la vue perçante et distingue nettement les choses vers lesquelles il se tourne ; car il n’a pas la vue faible, mais il est contraint de se mettre au service de leur malhonnêteté ; aussi plus il a la vue perçante, plus il fait de mal.

C’est bien cela, dit-il.

Et pourtant, repris-je, si dès l’enfance on opérait l’âme ainsi conformée par la nature, et qu’on coupât, si je puis dire, ces masses de plomb[1], bqui sont de la famille du devenir, et qui, attachées à l’âme par le lien des festins, des plaisirs et des appétits de ce genre, en tournent la vue vers le bas ; si, débarrassée de ces poids, on la tournait vers la vérité, cette même âme chez les mêmes hommes la verrait avec la plus grande netteté, comme elle voit les choses vers lesquelles elle est actuellement tournée.

C’est vraisemblable, dit il.

N’est-il pas vraisemblable aussi, repris-je, et ne suit-il pas nécessairement de ce que nous avons dit que ni les gens sans éducation et sans connaissance de la vérité, ni ceux qu’on laisse passer toute leur vie cdans l’étude ne sont propres au gouvernement de l’État, les uns, parce qu’ils n’ont dans leur vie aucun idéal auquel ils puissent rapporter tous leurs actes, privés et publics, les autres, parce qu’ils ne consentiront pas à s’en occuper, eux qui de leur vivant se croient déjà établis dans les îles fortunées.

C’est vrai, dit-il.


On forcera
le philosophe
à gouverner.

C’est donc à nous, les fondateurs de l’État, repris-je, d’obliger les hommes d’élite à se tourner vers la science que nous avons reconnue tout à l’heure

    quand la question est bien posée, répondent d’eux-mêmes ce qu’il faut dire ; s’ils n’avaient pas présente en eux la science et la droite raison, ils ne seraient pas capables de le faire. »

  1. Ces masses de plomb sont les produits accumulés de la sensualité et du désir. Cf. X 611 e : « il faut penser à ce que deviendrait l’âme, si elle était débarrassée des pierres et des coquillages, qui, comme autant d’excroissances de terre et de pierre, se sont