Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 1.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517 c
150
LA RÉPUBLIQUE VII

monde intelligible, c’est elle qui dispense et procure la vérité et l’intelligence, et qu’il faut la voir pour se conduire avec sagesse soit dans la vie privée, soit dans la vie publique.

Je suis de ton avis, dit-il, autant que je peux suivre ta pensée.

Eh bien ; repris-je, sois encore de mon avis sur ce point, qu’il n’est pas étonnant que ceux qui se sont élevés jusque-là ne soient plus disposés à prendre en main les affaires humaines, et que leurs âmes aspirent dsans cesse à demeurer sur ces hauteurs. Cela est bien naturel, s’il faut encore sur ce point s’en rapporter à notre allégorie.

Bien naturel, en effet, dit-il.

Mais, repris-je, penses-tu qu’il faille s’étonner qu’en passant de ces contemplations divines aux misérables réalités de la vie humaine, on ait l’air gauche et tout à fait ridicule, lorsque, ayant encore la vue trouble et n’étant pas suffisamment habitué aux ténèbres où l’on vient de tomber, on est forcé d’entrer en dispute dans les tribunaux ou ailleurs sur les ombres du juste ou sur les images qui projettent ces ombres et de combattre les interprétations qu’en font des gens equi n’ont jamais vu la justice en soi ?

Ce n’est pas étonnant du tout, fit-il.

Mais, si l’on était sensé, repris-je, on se rappellerait que les yeux sont troublés de deux manières 518et par deux causes opposées, par le passage de la lumière à l’obscurité et par celui de l’obscurité à la lumière ; alors réfléchissant que ces deux cas s’appliquent aussi à l’âme, quand on verrait une âme troublée et impuissante à discerner un objet, au lieu d’en rire sans raison, on examinerait si, au sortir d’une vie plus lumineuse, elle est, faute d’habitude, offusquée par les ténèbres, ou si, bvenant de l’ignorance à la lumière, elle est éblouie par une splendeur trop éclatante ; dans le premier cas, on la féliciterait de son embarras et de l’usage qu’elle fait de la vie ; dans l’autre, on la plaindrait, et, si l’on vou-

    sujet de l’infinitif ἀποκτεινύναι ἄν. Cette négligence de construction ne dépasse pas certaines autres licences du même genre qu’on rencontre dans Platon. Cependant il se pourrait que l’infinitif ἀποκτεινύναι ἄν cachât la leçon plus simple à ἀποκτείνειαν ἄν, qui a été proposée par Baiter et Adam et qui me paraît tout à fait vraisemblable.