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LA RÉPUBLIQUE VI

Comment ? demanda-t-il ; achève ton explication.

Tu sais, repris-je, que, lorsque l’on regarde des objets dont les couleurs ne sont pas éclairées par la lumière du jour, mais par les flambeaux de la nuit, les yeux voient faiblement et paraissent presque aveugles, comme s’ils avaient perdu la netteté de leur vue.

Oui, dit-il.

Mais que, quand ils se tournent vers des objets éclairés par le soleil, ils voient distinctement, dn’est-ce pas ? et il apparaît bien que ces mêmes yeux ont la vue pure.

Sans doute.

Fais-toi de même à l’égard de l’âme l’idée que voici. Quand elle fixe ses regards sur un objet éclairé par la vérité et par l’être, aussitôt elle le conçoit, le connaît et paraît intelligente ; mais lorsqu’elle se tourne vers ce qui est mêlé d’obscurité, sur ce qui naît et périt, elle n’a plus que des opinions, elle voit trouble, elle varie et passe d’une extrémité à l’autre, et semble avoir perdu toute intelligence.

C’est bien cela.

eOr ce qui communique la vérité aux objets connaissables et à l’esprit la faculté de connaître, tiens pour assuré que c’est l’idée du bien[1] ; dis-toi qu’elle est la cause de la science et de la vérité, en tant qu’elles sont connues ; mais quelque belles qu’elles soient toutes deux, cette science et cette vérité, crois que l’idée du bien en est distincte et les surpasse en beauté, et tu ne te tromperas pas. Et comme dans le monde visible on a raison de penser 509que la lumière et la vue ont de l’analogie avec le soleil, mais qu’on aurait tort de les prendre pour le soleil, de même, dans le monde intelligible, on a raison de croire que la science et la vérité sont l’une et l’autre semblables au bien, mais on aurait tort de croire que l’une ou l’autre soit le bien ; car il faut porter plus haut encore la nature du bien.

    que dans la lumière, mais que nous ne pouvons voir que dans la lumière.

  1. On peut résumer les correspondances établies entre le Soleil et l’idée du Bien, comme l’a fait Adam (édit. de la Rép. 2e vol.  p. 60), dans le tableau suivant :

    τόπος ὁρατός = τόπος νοητός

    1. Soleil = Idée du Bien.