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LA RÉPUBLIQUE VI

du gouvernement, et l’État contraint à leur obéir, ou avant que les chefs d’État héréditaires ou les rois actuels ou leurs fils s’éprennent cpar quelque inspiration divine d’un véritable amour pour la vraie philosophie[1]. Dire que l’un ou l’autre de ces deux cas ou tous les deux ne peuvent se rencontrer, je prétends pour ma part que c’est un propos dénué de raison : autrement nous prêterions justement au ridicule pour nous entretenir de pures chimères ; n’est-ce pas vrai ?

Si.

Si donc il est jamais arrivé, dans toute l’étendue des siècles, que des philosophes éminents aient été contraints de gouverner l’État, ou si la chose arrive à présent dans quelque pays étranger, dloin de nos yeux, ou si elle doit arriver dans la suite des temps, nous sommes là-dessus prêts à soutenir qu’il y a eu, qu’il y a et qu’il y aura un État comme le nôtre, quand la muse philosophique y régnera ; car il n’est pas impossible qu’il existe, et nous ne supposons pas des choses impossibles, bien que nous en reconnaissions nous-mêmes la difficulté.

Moi aussi, dit-il, je suis de cet avis.

Mais tu vas me dire que la multitude est d’un avis opposé.

Peut-être,

eCher ami, repris-je, ne sois pas si sévère pour la multitude. Elle changera certainement d’opinion, si, au lieu de lui faire querelle, tu la reprends avec douceur et dissipes ses préjugés contre l’amour de la science, en lui montrant quels sont ceux que tu appelles philosophes et en définissant, comme nous venons de le faire, leur caractère et leur profession, 500afin qu’elle ne s’imagine pas que tu lui parles des philosophes tels qu’elle se les représente ; et si elle arrive à les voir comme ils sont, tu avoueras qu’elle en prendra certainement une autre opinion et qu’elle répondra différemment. Ou crois-tu qu’on se fâche contre qui ne se fâche pas ou qu’on veuille du mal à qui ne vous en veut pas,

  1. Platon se fait illusion sur la puissance d’un roi, si absolu qu’on le suppose. Marc-Aurèle ni saint Louis n’ont pas changé grand’chose aux mœurs de leur siècle. Je ne veux pas dire que les idées de Platon soient des chimères ; mais elles ne peuvent se réaliser que par une lente évolution dans la mentalité des peuples.