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LA RÉPUBLIQUE VI

dThrasymaque et moi, au moment où nous venons de lier amitié, sans jamais d’ailleurs avoir été ennemis. Je n’épargnerai aucun effort pour le convaincre lui et les autres, ou du moins pour leur servir à quelque chose dans une autre existence, lorsque, revenus au jour, ils se trouveront de nouveau à des entretiens comme celui-ci[1].

C’est les ajourner à bref délai, vraiment, fit-il.


Il n’est pas
impossible de
convaincre la foule
réfractaire au
gouvernement des
philosophes.

Ce délai n’est rien, répliquai-je, comparé à l’éternité. Au reste il n’est pas surprenant que la foule n’ajoute pas foi à nos discours ; car elle n’a jamais vu exécutée l’idée qui est eà présent discutée ; loin de là, elle n’a entendu que des phrases comme celle qui vient de m’échapper, construites à dessein sur les mêmes consonances, et non point des propos où cette correspondance soit, comme dans ma phrase, l’effet d’un simple hasard. Quant à un homme qui soit en rapport et consonance avec la vertu, aussi parfaitement que possible, en acte et en parole, et qui gouverne souverainement dans un État pareil au nôtre, 499jamais elle n’en a vu, ni un, ni plusieurs. Qu’en penses-tu ?

Qu’elle n’en a jamais vu.

Elle n’a jamais été non plus, cher ami, à même d’assister à de beaux et nobles entretiens, où l’on cherche la vérité de toutes ses forces et par toutes les voies possibles, dans la seule vue de la connaître, où l’on salue de loin les faux brillants et la dispute et tout ce qui ne tend qu’à la vaine gloire et à la chicane, et dans le barreau et dans les conversations particulières.

C’est encore vrai, dit-il.

bVoilà, repris-je, les réflexions qui me préoccupaient et me faisaient craindre de parler ; cependant la vérité l’a emporté, et j’ai dit qu’il ne fallait point s’attendre à voir ni un État, ni un gouvernement, ni même un simple individu toucher à la perfection, avant que ce petit nombre de philosophes qu’on traite, non pas de méchants, mais d’inutiles soient forcés par les circonstances à s’occuper, bon gré, mal gré,

  1. Ceci implique la réincarnation de l’âme comme elle est décrite au livre X 608 d sqq. L’éducateur ne doit jamais désespérer, puisque la semence jetée dans cette vie peut porter ses fruits dans> une autre vie.