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LA RÉPUBLIQUE VI

est folle, qu’il n’y a pour ainsi dire rien de sensé dans la conduite d’aucun homme politique et qu’il n’est point d’allié avec qui il puisse se porter dau secours de la justice, sans s’exposer à la mort ; quand, semblable à un homme qui est tombé parmi les bêtes féroces aux fureurs desquelles il refuse de s’associer, sans pouvoir du reste tenir tête à lui seul à toute une meute sauvage, il est sûr de périr avant d’avoir rendu service à l’État ou à ses amis, sans profit ni pour lui ni pour les autres, quand, dis-je, il a fait réflexion sur tout cela, il se tient au repos et ne s’occupe que de ses propres affaires, et, comme un voyageur surpris par une tempête s’abrite derrière un mur contre le tourbillon de poussière et de pluie soulevé par le vent, de même en voyant les autres déborder d’injustice, il s’estime heureux s’il peut passer son existence ici-bas pur ed’injustice et d’impiété, et faire sa sortie de la vie avec une belle espérance, dans la sérénité et la paix de l’âme[1].

Certes, dit-il, ce ne serait pas avoir gagné le dernier lot 497que d’en sortir comme lui.

Ce ne serait pas non plus avoir gagné le premier, repris-je, que d’avoir manqué le gouvernement qui lui convenait. Qu’il le rencontre, il deviendra lui-même plus grand et avec son propre salut il assurera celui de l’État.


XI  Nous avons suffisamment démontré, ce me semble, la cause et l’injustice des calomnies dirigées contre la philosophie. As-tu encore quelque chose à dire là-dessus ?

Non, répliqua-t-il, je n’ai plus rien à dire sur ce point ; mais à ton avis, parmi les gouvernements d’à présent, quel est celui qui convient au philosophe ?

bAucun, répondis-je, et je me plains précisément qu’aucune des formes politiques actuelles ne convienne au caractère du philosophe ; c’est pour cela qu’il se fausse et s’altère, et, comme une graine étrangère semée dans un nouveau terrain

  1. Cf. Lucrèce : « Suave mari magno… » Mais la différence est plus grande que la ressemblance. Le philosophe de Platon est content s’il peut garder son âme pure, parce que, dans l’état présent des choses, il ne peut pas se sauver à la fois, lui et les autres. Mais il ne prend aucun plaisir à voir de quels maux il est à l’abri ; car il voudrait bien tirer les autres de leur misère, s’ils le lui