Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 1.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495 e
119
LA RÉPUBLIQUE VI

revêt un habit neuf, et, équipé comme un jeune marié, va épouser la fille de son maître, parce qu’elle est pauvre et abandonnée ?

496La comparaison est parfaitement exacte, dit-il.

Que naîtra-t-il vraisemblablement d’un pareil mariage ? n’est-ce pas des bâtards et des êtres chétifs ?

C’est inévitable.

De même quand des gens réfractaires à l’éducation s’approchent de la philosophie et, malgré leur indignité, ont commerce avec elle, quelles pensées, quelles opinions croirons-nous qu’ils puissent enfanter ? Des sophismes, pour les appeler de leur vrai nom, et rien de légitime, rien qui tienne d’une véritable science.

C’est tout à fait juste, dit-il.


Les vrais
philosophes forcés
de vivre à l’écart.

bX  Il reste donc, Adimante, repris-je, un bien petit nombre de gens qui sont dignes d’épouser la philosophie : c’est d’aventure quelque noble esprit perfectionné par l’éducation, que l’exil retient loin de sa patrie et qui, faute de corrupteurs, reste naturellement fidèle à la philosophie ; ou bien quelque grande âme qui, née dans un petit État, en regarde l’administration comme indigne d’elle et s’en désintéresse : on peut y ajouter quelques personnes qui, prises d’un juste mépris pour leur métier, passent à la philosophie pour laquelle la nature les a douées. Peut-être encore le frein qui retient notre ami Théagès peut-il en retenir quelques autres ; car tout s’est réuni pour détourner Théagès cde la philosophie ; mais le soin d’une santé précaire l’y retient et l’éloigne de la politique. Quant à ce qui me concerne, il ne vaut pas la peine de parler de mon signe démonique[1] : à peine en trouverait-on un autre exemple dans le passé. Or celui qui fait partie de ce petit nombre et qui a goûté la douceur et la félicité d’un tel bien, quand il s’est bien rendu compte que la multitude

  1. Socrate regardait son signe démonique comme une révélation spéciale de la divinité qui l’avertissait de ce qu’il ne devait pas faire. Ici, comme dans l’Apologie 31 D, ce signe lui défend d’entrer dans la vie politique.