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LA RÉPUBLIQUE VI

médiocre ne fait rien de grand à l’égard de personne, soit particulier, soit État.

C’est très vrai, dit-il.


La philosophie
envahie
par d’indignes
sectateurs.

cOr ces hommes qui déchoient ainsi d’une étude qui leur convient éminemment et laissent la philosophie solitaire et négligée, mènent eux-mêmes une vie qui ne convient pas à leur nature et à la vérité, tandis que d’indignes étrangers pénètrent chez elle, comme chez une orpheline sans parents, la déshonorent et lui attirent ces reproches dont tu parlais toi-même, que, de ses adhérents, les uns ne sont bons à rien, et les autres, qui forment le grand nombre, sont dignes de tous maux.

C’est bien en effet ce qu’on dit, fit-il.

Et ce qu’on dit avec raison, ajoutai-je. En effet d’autres hommes, de qualité inférieure, voyant la place inoccupée, mais toute pleine dde beaux noms et de belles apparences, semblables à des prisonniers échappés de leur geôle qui se réfugient dans les temples, s’empressent eux aussi de quitter leur métier[1] pour se jeter sur la philosophie ; et ce sont justement ceux qui sont les plus habiles dans leur petite profession. Car la philosophie, toute délaissée qu’elle est, garde en comparaison des autres professions un prestige magnifique qui la fait rechercher par beaucoup de gens imparfaitement doués, dont les professions et les métiers ont à la fois déformé le corps, eet mutilé et dégradé l’âme par des travaux manuels ; en peut-il être autrement ?

Non, dit-il.

À les voir, repris-je, ne dirais-tu pas un forgeron chauve et nain, qui, après avoir gagné quelque argent, à peine débarrassé de ses entraves, court se laver au bain public,

  1. À qui Platon fait-il allusion ici ? On a cru qu’il visait Antisthène et Diogène le Cynique qui avait été changeur de monnaie. Mais la description qui suit s’applique aux sophistes et aux rhéteurs sophistiques plutôt qu’aux philosophes cyniques. On a cité parmi ces sophistes Protagoras, qui avait été bûcheron, Euthydème et Dionysodore, qui avaient été maîtres d’armes. En réalité, Platon décrit un fait assez commun de son temps, où des jeunes gens intelligents et ambitieux quittaient leur métier pour s’instruire et s’adonner à la philosophie.