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LA RÉPUBLIQUE VI

nes les choses qui lui font plaisir, mauvaises celles qui le fâchent, incapable d’ailleurs de justifier ces noms, confondant le juste et le beau avec les nécessités de la nature, parce que la différence essentielle qui existe entre la nécessité et le bien, il ne l’a jamais vue ni ne peut la faire voir à d’autres. Au nom de Zeus, ne te semble-t-il pas qu’un tel précepteur serait bien étrange ?

Si, dit-il.

Eh bien, vois-tu quelque différence entre cet homme et celui qui fait consister la science dà connaître les instincts et les goûts d’une multitude hétéroclite réunie en assemblée, à l’égard soit de la peinture, soit de la musique, soit de la politique ? Si en effet un homme se présente devant cette assemblée pour lui soumettre un poème, ou quelque autre œuvre d’art, ou un projet de service public, et qu’il s’en remette au jugement de la foule, sans faire les réserves indispensables, la nécessité qu’on appelle nécessité de Diomède[1] le contraindra de faire ce que cette foule approuvera. Or que cela soit réellement bon et beau, as-tu jamais entendu quelqu’un de cette foule en donner une raison qui ne soit pas ridicule ?

eNon, dit-il, et je n’en entendrai jamais.


VIII  Maintenant que tu as saisi tout cela, voici encore une chose que je te rappelle : Y a-t-il un moyen de faire admettre ou reconnaître au peuple que c’est le beau en soi qui existe, 494mais non la multitude des belles choses, que c’est chaque chose en soi qui existe, mais non la multitude des choses particulières ?

Il n’y en a pas, dit-il.

Il est donc impossible, dis-je, que le peuple soit philosophe ?

Impossible.

C’est donc aussi une nécessité que les philosophes soient critiqués par le peuple ?

    quand on en a besoin. La science politique au contraire assure la prospérité permanente des États, parce qu’on peut l’enseigner et la transmettre à ses successeurs.

  1. D’après le scholiaste, l’expression remonterait au traitement infligé par Diomède à Ulysse, quand ils revinrent d’Ilion au camp