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LA RÉPUBLIQUE VI

Certes si, je le sais, dit-il.

Quel autre sophiste, à ton avis, quelle instruction privée pourrait lutter eet prévaloir contre de telles leçons ?

Aucune, à mon avis, dit-il.

Aucune en effet, et ce serait même une grande sottise de le tenter ; car on ne change point, on n’a jamais changé, on ne changera même jamais un caractère par des leçons de vertu contraires aux leçons de ces gens-là, je parle, cher ami, d’un caractère humain ; s’il s’agit d’un caractère divin[1], mettons-le, comme on dit communément, hors de cause ; car tu dois savoir que tout ce qui dans un État ainsi constitué se sauve et devient ce qu’il doit être 493doit son salut à une faveur spéciale de Dieu : tu peux l’avancer sans crainte de te tromper.

Je ne pense pas autrement que toi là-dessus, dit-il.

Voici, repris-je, une chose encore où tu partageras mon sentiment.

Laquelle ?

Tous ces particuliers mercenaires que le peuple appelle sophistes et regarde comme des rivaux n’enseignent pas d’autres principes que ceux que lui-même professe dans ses assemblées, et c’est cela qu’ils appellent science. On dirait un homme qui, ayant à nourrir un animal grand et fort, après en avoir observé minutieusement les mouvements instinctifs et les appétits, bpar où il faut l’approcher et par où le toucher, quand et pourquoi il est le plus hargneux et le plus doux, à propos de quoi il a l’habitude de pousser tel ou tel cri, et quels sons de voix radoucissent ou l’irritent, qui, dis-je, après avoir appris tout cela par une fréquentation prolongée, donnerait à son expérience le nom de science, en composerait un traité et se mettrait à l’enseigner, sans savoir véritablement ce qui dans ces maximes et ces appétits est beau ou laid, bien ou mal, cjuste ou injuste, ne jugeant de tout cela que d’après les opinions du gros animal, appelant bon

  1. Des hommes d’État, comme Thémistocle et Périclès, sont des hommes divins, au même titre que les devins et les poètes : ils sont inspirés et possédés d’un dieu, quand ils font de grandes choses. Ils ne doivent point leur talent à l’éducation et c’est pour cette raison qu’ils ne peuvent le transmettre à leurs fils (Prot. 320 a et Ménon 99 b/c). Mais les hommes divins sont rares et n’apparaissent pas