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LA RÉPUBLIQUE VI

À la question que tu me fais, dis-je, je ne puis répondre que par une comparaison.

Ce n’est pourtant pas, ce me semble, ton habitude, dit-il, de parler par comparaisons.


La faute
en est à l’État
qui n’utilise pas
le philosophe.

IV  Bien, dis-je, tu me railles après m’avoir jeté sur une question si difficile à démontrer. 488Néanmoins écoute ma comparaison, et tu verras encore mieux combien j’ai de peine à former mes comparaisons. Le traitement que les États infligent aux hommes les plus sages est si fâcheux qu’il n’y a pas un seul être au monde ainsi traité, et que, pour en composer une image qui serve à les justifier, il faut que j’en assemble les traits d’objets divers, comme font les peintres, quand ils représentent, en mêlant les espèces, des animaux moitié boucs et moitié cerfs et d’autres monstres du même genre. Imagine-toi donc une scène comme celle-ci sur une flotte ou sur un vaisseau unique : un patron plus grand et plus fort que tout le reste de l’équipage, bmais un peu sourd et qui a la vue basse et des connaissances nautiques aussi courtes que sa vue[1], puis des matelots en discorde qui se disputent le gouvernail, chacun prétendant que c’est à lui de le tenir, bien qu’il n’ait jamais appris l’art du pilote et qu’il ne puisse indiquer sous quel maître et dans quel temps il l’a étudié, qui vont même jusqu’à déclarer que ce n’est pas un art qu’on puisse apprendre et sont prêts à mettre en pièces quiconque oserait avancer cqu’on peut l’enseigner. Pour eux, ils se pressent toujours autour du patron, le priant, l’obsédant de toutes manières pour qu’il leur confie le gouvernail ; et il arrive, s’ils ne parviennent pas à le gagner, et que d’autres y réussissent, qu’ils les tuent ou les jettent par-dessus bord. Quant au brave patron, ils l’entravent au moyen de la mandragore, de l’ivresse ou de tout autre expédient ; après quoi, maîtres du vaisseau, ils font main basse sur la cargaison, se gorgent de vin et de bonne chère, et naviguent comme peuvent naviguer de pareils marins. En outre ils comblent d’éloges et traitent de grands marins, dd’habiles pilotes, de maîtres en l’art

  1. Ce patron fait songer au bonhomme Peuple dans les Chevaliers d’Aristophane.