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LA RÉPUBLIQUE V

Nous ne la rangerons pas dans une autre espèce, dit-il ; car l’opinion n’est autre chose que la faculté qui nous rend capables de juger sur l’apparence.

Mais il n’y a qu’un instant tu as reconnu que la science et l’opinion n’étaient pas la même chose.

Comment en effet, dit-il, un homme sensé confondrait-il ce qui est infaillible avec ce qui ne l’est pas ?

478Bien, dis-je. Il est clair que nous sommes d’accord sur ce point, que la science et l’opinion diffèrent.

Oui.

Chacune d’elles ayant un effet différent est donc faite pour un objet différent ?

Nécessairement.

Or la science, n’est-ce pas ? a pour objet l’être et le connaît en son essence.

Oui.

Mais l’opinion, disons-nous, saisit les apparences ?

Oui.

Connaît-elle la même chose que la science, et la même chose peut-elle tomber à la fois sous la connaissance et l’opinion, ou est-ce impossible ?

C’est impossible, dit-il, d’après les principes que nous avons admis. S’il est vrai que les facultés ont des objets différents, si d’ailleurs la science et l’opinion sont l’une et l’autre des facultés, bet des facultés différentes, comme nous l’affirmons, il s’ensuit que la même chose ne peut être à la fois l’objet de la science et de l’opinion.

Dès lors si l’objet de la science est l’être, celui de l’opinion sera autre chose que l’être ?

Oui.

Sera-ce le non être, ou est-il impossible aussi que le non être soit l’objet de l’opinion[1] ? Réfléchis : celui qui a une opinion ne l’a-t-il pas sur quelque chose, ou peut-on avoir une opinion qui ne s’applique à rien ?

C’est impossible.

  1. Cf. Théétète 189 a/b : « Celui qui juge ce qui n’est pas ne juge aucune chose — Apparemment. — Mais ne juger aucune chose, c’est ne pas juger du tout — Cela semble évident — Impossible donc de juger ce qui n’est point, soit relativement à des êtres, soit absolument. » (Traduction Diès.)