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LA RÉPUBLIQUE V

noir ont l’air martial, les enfants au teint blanc sont les enfants des dieux ; on parle aussi de teint de miel, expression qui ne peut venir, n’est-ce pas ? que d’un amant qui déguise un défaut sous un terme de louange et s’accommode facilement de la pâleur de l’objet aimé, pourvu qu’il soit en sa fleur[1]. En un mot, vous usez de tous les prétextes, et vous chantez sur tous les tons, pour ne laisser échapper aucun de ceux qui sont dans la fleur de l’âge.

475Si c’est sur moi, dit-il, que tu prétends décrire les amoureux et leurs habitudes, j’y consens, dans l’intérêt de la discussion.

Et ceux qui aiment le vin, repris-je, ne vois-tu pas qu’ils en usent de même et que tout prétexte leur est bon pour aimer n’importe quel vin ?

C’est vrai.

Pour parler aussi des ambitieux, tu remarques bien, je pense, que, s’ils ne peuvent commander en chef, ils commandent le tiers de leur tribu, et que, s’ils ne peuvent être honorés par les personnages puissants et révérés, ils se contentent de l’être par leurs inférieurs et par des gens sans conséquence, parce qu’ils sont avides de distinctions, quelles bqu’elles soient.

Sans aucun doute.

Réponds-moi maintenant oui ou non. Quand on dit de quelqu’un qu’il désire une chose, entend-on qu’il la désire dans sa totalité, ou qu’il en désire une partie, non l’autre ?

Qu’il la désire dans sa totalité, répondit-il.

Ne dirons-nous pas aussi du philosophe qu’il désire de la sagesse non pas telle partie, à l’exclusion du reste, mais qu’il la désire toute ?

C’est vrai.

Si donc quelqu’un a de l’aversion pour les sciences, surtout s’il est jeune et ne sait pas encore discerner ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, cnous ne dirons pas qu’il aime la science ni la philosophie, de même que, si un homme a de la répugnance à manger, nous ne dirons pas qu’il a faim, ni qu’il désire manger, ni qu’il est gourmand, mais qu’il est dégoûté.

  1. Ce passage a été souvent imité. Cf. Lucrèce IV, 1160-1170 et Molière, Misanth. v. 711-730.