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LA RÉPUBLIQUE V

peut-être aussi répondrai-je à tes questions plus à propos bqu’un autre. Fort d’une telle assistance, essaye de montrer aux incrédules que la raison est avec toi.

J’essaierai donc, dis-je, puisque je trouve en toi un allié si réconfortant. Or il me paraît nécessaire, si je veux échapper aux gens dont tu parles, de leur expliquer quelle sorte de gens sont les philosophes à qui nous osons dire qu’il faut déférer le gouvernement[1], afin qu’après les avoir bien fait connaître, nous puissions nous défendre, en montrant que la nature a fait les uns cpour s’attacher à la philosophie et commander dans l’État, et les autres pour s’abstenir de philosopher et obéir à celui qui gouverne.

C’est le moment de l’expliquer, dit-il.

Eh bien donc, suis-moi, pour voir si j’ai quelque droit au titre de bon guide.

Va donc, dit-il.

Est-il besoin que je te rappelle, repris-je, ou te rappelles-tu toi-même que, lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il aime un objet, il doit, si le mot est juste, montrer son amour non pour une partie, à l’exclusion d’une autre, mais pour l’objet tout entier ?


Définition
du philosophe ;
il aime la vérité
tout entière.

dXIX  Il me semble, dit-il, que tu ferais bien de me le rappeler ; car je ne m’en souviens pas très bien.

On passerait à un autre, Glaucon, repris-je, de parler ainsi ; mais un homme expert en amour devrait savoir que tout ce qui est dans la fleur de la jeunesse mord le cœur, si je puis dire, et trouble l’esprit d’un homme qui aime ou qui est porté à l’amour, et lui semble digne de ses soins et de sa tendresse. N’est-ce pas ainsi que vous en usez à l’égard des beaux garçons ? Que l’un d’eux soit camus, vous l’en louerez en l’appelant gracieux ; d’un nez crochu, vous dites qu’il est royal ; d’un nez qui tient le milieu entre l’un et l’autre, qu’il est parfaitement proportionné ; epour vous, les enfants au teint

  1. Platon a jusqu’ici employé le mot philosophe au sens moral. À présent qu’il passe de la morale à la métaphysique, il va décrire le côté intellectuel du philosophe, attaché à la vérité, c’est-à-dire aux idées.