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LA RÉPUBLIQUE V

Mais parmi tes gardiens, en est-il un qui pourrait regarder ou traiter un de ses collègues comme un étranger ?

Aucun, dit-il, puisque en tous ceux qu’il rencontre il croira voir un frère ou une sœur, un père ou une mère, un fils ou une fille, ou des descendants ou des aïeux de tous ces parents.

C’est très bien dit, repris-je ; mais réponds encore : borneras-tu tes prescriptions à l’emploi de ces noms de parents, ou veux-tu encore que la conduite tout entière de nos citoyens réponde à ces noms, det qu’ils témoignent à leurs pères tout ce que la loi paternelle commande de respect, de soin, de soumission envers ceux qui nous ont mis au monde ; sans quoi ils ne devront attendre rien de bon ni des dieux, ni des hommes, puisqu’en se conduisant autrement que nous le demandons, ils joindraient l’impiété à l’injustice ? Ne sont-ce pas là pour toi les maximes que tous les citoyens feront sonner d’abord aux oreilles des enfants, à l’égard de ceux qu’on leur désignera comme leurs pères et de tous leurs autres parents ?

eCe sont ces maximes, dit-il ; car il serait ridicule qu’ils eussent toujours à la bouche ces noms de parents, sans y conformer leur conduite[1].

C’est donc dans notre État plus que dans tout autre que tous les citoyens diront ensemble, quand il arrivera du bien ou du mal à quelqu’un, cette parole que nous disions tout à l’heure : mes affaires vont bien ou mes affaires vont mal.

C’est très vrai, dit-il.

464N’avons-nous pas ajouté que cette manière de penser et de parler avait pour conséquence la communauté des plaisirs et des peines ?

Et nous avons eu raison de le dire.

Ainsi chez nous, plus que partout ailleurs, les citoyens participeront au même intérêt qu’ils appelleront leur inté-

  1. Comment Platon peut-il prétendre que les enfants honorent et aiment comme des pères et mères tant de gens à la fois ? Dès qu’ils auront l’âge de discrétion, ils sauront bien que, parmi tant de gens, il n’y en a que deux qui sont leur père et leur mère. Dès lors, quel respect pourront-ils avoir pour le mensonge légal qui leur affirme que tous ces étrangers sont leurs pères et mères ? Le respect et l’affection ne peuvent se fonder sur le mensonge, et la prétention d’imposer aux enfants l’obligation de conformer leurs actes aux noms dont on leur