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des plus pénibles ; essaye donc de dire de quelle manière il faut le conduire.

Heureux homme, dis-je, tu ne mesures pas la difficulté d’une telle exposition ; elle soulèvera beaucoup plus de doutes encore que ce que nous avons dit jusqu’à présent. On ne croira pas que mes idées soient réalisables, et, en admettant qu’elles le soient, don doutera encore qu’elles soient les meilleures. C’est pourquoi j’hésite à y toucher ; j’ai peur, cher ami, qu’on ne les prenne pour des utopies.

N’hésite pas, répliqua-t-il ; tu as pour auditeurs des gens qui ne sont ni bornés, ni obstinés, ni malveillants.

Et moi, je répondis : Excellent jeune homme, c’est sans doute pour me rassurer que tu dis cela.

Oui, dit-il.

Eh bien, dis-je, c’est l’effet tout contraire que tu produis. Si en effet j’étais persuadé moi-même de la vérité de ce que je vais dire, ton encouragement tomberait à propos. Devant un auditoire intelligent eet ami, on peut, si l’on tient la vérité, traiter en toute sécurité et confiance les matières les plus importantes et qui lui tiennent à cœur. Mais quand on expose une doctrine, en doutant et en cherchant, comme je fais, on est dans une situation redoutable et glissante, 451non pas qu’on ait peur de faire rire, ce serait puéril ; mais on peut glisser soi-même à côté de la vérité et entraîner ses amis dans l’erreur sur des choses où l’erreur est le plus funeste[1]. Aussi je prie Adrastée, Glaucon, de ne point s’offenser de ce que je vais dire. J’estime en effet que c’est une moindre faute de tuer quelqu’un sans le vouloir que de le tromper sur la beauté, la bonté, la justice en matière de législation ; aussi vaudrait-il mieux en courir le danger avec ses ennemis qu’avec ses amis. Voilà pourquoi tu as tort bde me presser.

Glaucon se mit à rire et dit : « Eh bien, Socrate, si ton exposition nous fait tomber dans quelque erreur, nous t’ac-

    philosophiques qui précèdent. C’est en même temps l’annonce d’une discussion nouvelle dont l’importance a besoin d’être soulignée. Platon savait bien qu’il allait choquer les idées reçues ; aussi fait-il semblant d’hésiter dans la crainte des railleries et des protestations véhémentes qu’il va susciter.

  1. Cf. Épictète, frg. 15, Schenkl, p. 414.