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INTRODUCTION

du tableau agrandi au dessin plus réduit, et nous progresserons ainsi, par la timocratie et l’homme timocratique, l’oligarchie et l’homme oligarchique, la démocratie et l’homme démocratique, jusqu'à la tyrannie et à l’homme tyrannique, pour opposer à la Justice cette dernière et suprême forme de l’Injustice et voir laquelle des deux engendre le plus de bonheur ou le plus de malheur (545 c).

Platon n’est pas le premier à faire cette étude comparée des constitutions. Ne se faisait-elle pas tous les jours, toute seule, dans l’esprit des Grecs un peu cultivés, et les orateurs populaires ne comptaient-ils pas, parmi leurs plus faciles et brillants lieux communs, l’éloge de la démocratie athénienne, devant laquelle ils rabaissaient toutes les autres formes de gouvernement ? La victoire contre les Perses avait exalté pour longtemps la fierté du libre Hellène, repoussant l’attaque des hordes que menait le fouet d’un despote. La lutte continuelle des partis entretenait à l’intérieur de chaque cité, et la concurrence de Sparte et d’Athènes pour l’hégémonie étendait à la conscience commune de la Grèce, une comparaison spontanée entre aristocratie et démocratie, comparaison que ravivaient les plaidoyers incessants de l’une et de l’autre, par la parole et la plume, par l’intrigue et la violence, par l’argent comme par le sang. Presque toutes les cités grecques avaient connu la tyrannie et plusieurs la subissaient encore, et les pays voisins leur donnaient le spectacle de toutes les formes possibles de l’aristocratie ou de la monarchie. La littérature s’est faite de bonne heure l’écho de ces comparaisons inévitables, mais c’est Hérodote qui nous offre la première discussion un peu étendue sur la valeur respective des trois constitutions, monarchique, aristocratique, démocratique (III, 80-82). Hérodote subit probablement l’influence des Sophistes, mais nous ne savons pas au juste en quelle mesure ni dans quel sens les Antilogies de Protagoras, par exemple, ont pu traiter cette question[1]. De tous les pamphlets qu’ont

  1. W. Nestle (Spuren der Sophistik bei Isokrates. Philologus, 70 (1911), p. 29 et suiv. ; éd. du Protagoras, p. 36/7) pense que Prot. y étudiait l’origine, la nature et la valeur des constitutions, et qu’elles sont la source d’Euripide, Phéniciennes, 499 et suiv. ; Suppliantes, 403 et suiv. ; Hérodote, III, 80-82 ; Isocrate, ad Nic., 13, 16, 28, Nic., 7, 14 et suiv., Panathen., 119 et suiv. 132. Influence (orale) des sophistes sur Hér. : Jacoby, s. v. RE Suppl. II, 500/2.