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INTRODUCTION

dans sa bouche, est le simple aveu d’un profane : « Croire à tout cela est difficile, mais n’y pas croire l’est autant » (532 d). Il admet donc provisoirement, en attendant de la comprendre pleinement, cette nécessité de la dialectique, et demande qu’on aille de l’avant, qu’on lui décrive plus en détail cette fameuse méthode, ses espèces, ses voies. Mais Socrate lui répond : « Tu ne saurais plus suivre, car il me faudrait alors parler autrement qu’en images et en symboles. Mais je te répète ce qui est ma conviction : la dialectique seule a cette puissance, d’atteindre l’ultime réalité qui est le Bien. Seule aussi elle est science, et les disciplines mathématiques, souvent appelées par nous du nom de sciences, par habitude, ne sont que des connaissances moyennes. Reprenons donc le tableau que nous dressions précédemment et disons que deux sortes de connaissances ont pour objet l’être et sont intellectuelles : ce sont la science (ἐπιστήμη) et la pensée moyenne (διάνοια) ; deux sortes ont pour objet le devenir et ne sont qu’opinion, l’une étant la croyance (πίστις) et l’autre, l’imagination (εἰκασία). Or, l’intellection n’est complète que si elle atteint l’essence et peut ainsi se rendre totalement compte de son objet, c’est-à-dire si elle est science, c’est-à-dire encore si elle est la dialectique. Nous ne pouvons accepter que nos gouvernants n’aient pas du Bien, c’est-à-dire de la fin vers laquelle tend leur action et l’organisation de toute la cité, une clarté absolument rationnelle. Nous devons donc leur imposer l’étude de la dialectique et nous n’avons plus à chercher pour eux de discipline plus haute : elle est le faîte et le couronnement » (533-535).

Deux inquiétudes au moins nous sont venues au cours de cette étude sur le rôle des sciences mathématiques et de la dialectique. Nous étions tentés tout à l’heure de réclamer, avec Glaucon, un exposé précis de cette méthode transcendante et, quelque peu déçus par la réponse évasive de Socrate, nous nous sommes peut-être demandé : « Cette fameuse méthode ne serait-elle donc qu’un rêve ? » D’autre part, une contradiction troublante nous était apparue entre le caractère nettement scientifique des sciences mathématiques au temps de Platon, caractère scientifique si hautement proclamé par lui en bien des passages et dont il est pour une grande part le promoteur, et la façon dont il les traite ici, les mettant au service d’une tendance métaphysique et les dépouillant telle-