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INTRODUCTION

cendante encore et plus lointaine, si possible, l’Idée du Bien qui les domine, les éclaire et les engendre.


La caverne.

Plus populaire que l’image de la ligne et de ses segments proportionnels, l’image de la caverne[1] est aussi plus mouvante : elle montre d’une façon saisissante la hiérarchie des valeurs et l’effort tragique des ascensions successives (514 a-521 b). Nous avons, comme Platon, souvent admiré le théâtre des marionnettes. Transposons ce théâtre, de façon que les spectateurs tournent le dos aux poupées et à leur manieur invisible, et voient les mouvements des poupées projetés sur une toile en face d’eux : il suffit, pour cela, d’une source lumineuse convenablement placée derrière le manieur. C’est ce que fait Platon : il allume un feu sur une hauteur, remplace le manieur et ses marionnettes par des gens qui vont et viennent portant des statuettes sur leurs épaules, prend comme toile le fond d’une caverne et, comme spectateurs, des gens qui sont enchaînés là depuis leur naissance, face au fond, sans pouvoir tourner la tête en arrière ; interpose enfin, entre les porteurs et la caverne, un mur assez bas pour laisser entrer la lumière, assez haut pour que les statuettes seules émergent et soient projetées. Comme les prisonniers n’ont jamais vu le vrai jour et les réalités qu’il éclaire, ils prendront invinciblement les ombres pour des êtres et les voix des porteurs pour les voix de ces êtres. Ce sera pour eux le monde : ceux d’entre eux qui sauront le mieux observer les ombres et leurs fréquences respectives sauront aussi prédire leurs réapparitions et leurs mouvements ou leurs gestes probables, on les admirera et les honorera de toutes manières. Leur dire qu’il y a un autre monde, que cet autre monde est le seul vrai, c’est dangereux : ils rient d’abord et puis se fâchent. Même si l’on en a délié quelques-uns pour les tourner vers la clarté, les faire

  1. Sur cette allégorie, cf. P. Frutiger, Les Mythes de Platon, Paris, 1930, p. 101/5 (différences entre l’allégorie et le mythe, bibliographie de la question) ; pour les correspondances entre l’allégorie et la doctrine, Adam, ad loc. et p. 156-163, Raeder, Platons Phil. Entw., p. 227 ; pour les origines de l’image, F. M. Cornford, From religion to philosophy, London, 1912, p. 435-441 (les cérémonies d’initiation), Frutiger, op. cit., 262/5, A. Diès, Guignol à Athènes (Bull. de l’Assoc. G. Budé, 14/15, 1927, p. 6-19 et 38-46).