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INTRODUCTION

lui-même. Le soleil, en effet, donne aux choses de ce monde non seulement leur visibilité, mais encore leur naissance, leur croissance, leur nourriture, alors que lui n’a point de naissance. Disons pareillement que le Bien donne aux choses intelligibles non seulement d’être intelligibles, mais encore d’exister et d’être, alors que lui n’est pas un être et se place au-dessus de l’être en dignité et en puissance (509 b).

Faut-il, avec Glaucon, nous étonner de ces hauteurs « hyperboliques » où Platon nous élève ? Il fait ici même, ne l’oublions pas, acte de réformateur et d’éducateur politique. Il construit la cité, choisit ses gardiens, distingue parmi eux les futurs gouvernants, se préoccupe de leur donner une formation supérieure, spécialement adaptée à leur fonction. Il veut, avant tout, qu’ils sachent pour quelle fin ils gouverneront, à quel but suprême ils devront sacrifier non seulement leurs intérêts et leurs attachements les plus naturels, mais jusqu’aux pures joies d’une contemplation intellectuelle inentravée. Cette fin doit les tenir par toutes leurs fibres et synthétiser toutes les tendances de leur esprit. Leur montrer qu’elle tient ainsi suspendue toute existence, que vers elle monte tout ce qui, dans notre monde, fait effort pour durer, vivre ou connaître, et tout ce qui, dans un monde supérieur, sert de modèle et de loi permanente à cet effort éphémère, n’est-ce pas rendre cette fin à la fois plus rationnelle et plus sacrée ? Or, c’est ici l’essentiel. Si on se contente de leur dire qu’elle est proprement indéfinissable, sans leur indiquer par quelles notions plus précises pourrait se déterminer son contenu, c’est d’abord qu’il faudrait pour cela une étude expresse, conduite d’une façon technique : l’ordre et l’harmonie du Gorgias, la mesure, la proportion parfaite du Philèbe, le Tout divin du Timée, des Lois, du Sophiste même, servent tour à tour, chez Platon, à définir ou figurer ce Bien, strictement indéfinissable. Qu’il soit transcendant, supérieur même à l’être et, par suite, ne soit pas un être, n’est-ce pas logique, puisqu’il est source et fin de tout être ? Cependant il est, puisqu’il agit : il est un efficient à sa manière, qui est la plus haute, car, pour Platon comme pour Aristote, la fin seule est proprement efficiente, et le Tout n’est pas simple résultante des parties, mais leur cause. Aussi le Bien est-il appelé, ici même, ce qu’il y a de plus éclatant dans l’être (518 c, 532 c), ce qu’il y a de plus bienheureux dans l’être (526 e), ce