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INTRODUCTION

ne remplace ni ne supplée. Comment alors accepterions-nous que les chefs de notre cité l’ignorent ? Que faire donc ? Impuissants à le définir exactement, incapables même de l’étudier par la méthode approchée qui nous a servi jusqu’ici, mais nous refusant à émettre sur sa nature de simple » opinions, nous prendrons un biais et, au lieu de le considérer directement, nous considérerons son rejeton : le Soleil (506 e).

Rappelons-nous, en effet, l’opposition que nous avons si souvent établie entre les multiples beautés et bontés que nous présentent les choses, et l’unique Beau en soi, l’unique Bien en soi, où notre pensée voit l’essence même du Beau ou du Bien. Les premières sont perçues par nos sensations ; des autres, nous n’avons qu’une intuition intellectuelle (νόησις). Or, parmi nos sensations, la vision est privilégiée, car le divin artiste a fait pour elle plus de frais que pour les autres. Entre l’ouïe et l’objet sonore, dit curieusement Platon, il n’y a besoin d’aucun intermédiaire, alors que, de l’objet coloré à l’œil, aucune relation efficace n’aurait lieu sans la lumière qui les unit[1]. D’où vient cette lumière, qui seule donne à nos yeux la puissance de voir, comme aux objets colorés leur visibilité, sinon de l’astre divin ? De ce foyer puissant notre œil est un reflet : ni lui ni sa vision ne sont des soleils ; ils sont seulement, de tous nos organes et de toutes nos sensations, les plus semblables au soleil, et c’est de lui qu’ils tiennent toute leur efficace, c’est par sa propre lumière qu’ils le perçoivent lui-même. Or, le soleil n’est à son tour qu’une image : il est le fils que le Bien engendre à sa ressemblance, et le rôle qu’il joue dans le monde sensible à l’égard de la vision et de ses objets, le Bien l’exerce dans le monde intelligible, étant source d’intelligibilité pour les essences et d’intellection pour notre pensée. Ainsi la réalité même des essences, faite de cette intelligibilité, et notre science ou notre intelligence, intuition de ces intelligibles, si semblables qu’elles soient au Bien, sont loin d’être le Bien

  1. Sur la théorie platonicienne de la vision, cf. Beare, Greek Theories of elementary cognition, Oxford, 1906, p. 42-56, et A. Rivaud, éd. du Timée, Paris, 1926, Notice, p. 104 et suiv. 45 b-46 c, 67 c-69 a. Pour une traduction du fragment de Théophraste sur les théories de la sensation, P. Tannery, Science Hellène, 2e éd. 1930, p. 348-380.