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INTRODUCTION

de plus haut encore que les vertus décrites par nous et la justice qui les couronne, à une science suprême et qui cependant n’est pas inconnue aux auditeurs de Socrate : la science du Bien. Il leur a dit souvent « que cette Forme ou Idée du Bien est l'objet le plus indispensable à connaître, celui sans lequel aucune chose, juste ou autre, ne peut servir à rien ». On peut suivre, en effet, la notion de cet unum necessarium à travers les dialogues platoniciens : dans Charmide, où la suprême condition du bonheur est la science du bien et du mal (174 b/d) ; dans Lachès, où cette science constitue la vertu tout entière (199 d/e) ; dans Gorgias, où l’on montre que le but de la vie ne peut être découvert et assuré que par une science, que ce but est le bien, identique au bonheur, que le bien est fin, parce qu’il est essence, ordre, harmonie, loi d’existence comme d’action (cf. 503-505) ; dans Euthydème, où l’on met au-dessus de toutes les sciences, même de la science royale ou politique, même d’une science qui nous rendrait immortels, celle qui nous apprend à quelle fin les utiliser (288 b-290 d). Socrate répète donc ici : à quoi nous servirait de tout posséder et de tout savoir, s’il nous manquait de posséder et de savoir le Bien ? (505 b).

Comment définir ce Bien ? Par l’intelligence, comme le veulent les délicats ? Mais ils sont obligés, au bout du compte, de dire que cette intelligence est l’intelligence du Bien. Par le plaisir ? Ses partisans sont contraints d’avouer qu’il est parfois mauvais. Les lecteurs de Platon connaissaient, en effet, cette insuffisance de la science purement formelle par Charmide (169 c-172 a) ; cette insuffisance du plaisir par Protagoras (351 c/d) et par la longue discussion de Socrate avec Calliclès dans Gorgias (495 a/500 a)[1]. Socrate a raison de dire que nous ne pouvons nous définir adéquatement le Bien, puisque toute note qui sert à le définir l’implique. Cependant il est la fin vers laquelle toute âme est tendue, l’objet que rien

  1. Adam a raison : les partisans du plaisir sont pris ici en bloc, c’est le vulgaire ; et les délicats sont tous ceux qui, comme Socrate et ses disciples, Platon en tête, veulent que l’esprit, et non les sens, règle notre vie. Nous retrouverons, dans le Philèbe (31 b-59 d), la discussion sur la vie bonne et la part qu’on doit faire, dans le mélange qui la constitue, à l’intelligence d’abord, puis aux plaisirs les plus purs.