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INTRODUCTION

ou s’annonçaient. Le monde intellectuel, et particulièrement le cercle socratique, en était engoué. Dans ses Oiseaux, en 414, Aristophane raillait cette spartanite chronique des Athéniens, tous gagnés, à son dire, par la manie laconisante de Socrate[1].

Quant à la communauté des femmes, Hérodote déjà l’avait montrée en usage parmi certaines peuplades scythes, aussi bien que l’habitude, pour les femmes, de monter à cheval, de suivre leurs maris à la chasse et à la guerre. Cette communauté avait, d’après lui, pour but « de ne faire de la peuplade qu’une seule famille, si étroitement unie par les liens du sang que toute haine et toute jalousie y soient impossibles »[2]. Euripide la faisait prôner par un de ses personnages (Protésilas fr. 655) et nous pouvons penser qu’elle n’avait pas été sans exciter l’imagination des Sophistes et des théoriciens politiques, si nombreux en cette période. Le mariage, qui créa naturellement en Grèce, comme partout, des tendresses familiales fortes et délicates, ne comportait à Sparte aucune vie commune, et les législateurs comme les intellectuels grecs étaient portés à n’y voir qu’un procédé légal et réglementable de procréation. La poésie de l’amour était ailleurs. La pratique si courante du malthusianisme et de l’exposition et l’étatisme naturel aux cités grecques entretenaient l’esprit favorable aux théories eugéniques[3]. il fallait Platon pour

  1. Sur le prestige de la constitution de Sparte et sa survivance, cf. Ehrenberg, loc. cit. ; Glotz, Hist. Gr., p. 336/8 (Le roman de Sparte) ; Aristophane, Les Oiseaux, 1281 et suiv. (A. Diès, Autour de Platon, p. 239) ; Xén., Rep. Lac., X, 8 : ἐπαινοῦσι μὲν πάντες τὰ τοιαῦτα ἐπιτηδεύματα, μιμεῖσθαι δὲ αὐτὰ οὐδεμία πόλις ἐθέλει. — Platon, ici même (VIII, 544 c) : ἥ τε ὑπὸ τῶν πολλῶν ἐπαινουμένη (πολιτεία), ἡ Κρητική τε καὶ Λακωνικὴ αὕτη.
  2. Hérodote, I, 216, 1 (les Massagètes) ; IV, 104 (les Agathyrses) ; IV, 172, 2 (les Nasamones). Les Agathyrses ἐπίκοινον δὲ τῶν γυναικῶν τὴν μεῖξιν ποιεῦνται, ἵνα κασίγνητοί τε ἀλλήλων ἔωσι καὶ οἰκήιοι ἐόντες πάντες μήτε φθόνῳ μήτ’ἔχθεϊ χρέωνται ἐς ἀλλήλους.. Voir Macan, Herodotus IV-VI, vol. I, p. 76, n. 3.
  3. Cf. Glotz, Hist. Gr., I, p. 360 (pour Sparte) ; Barker, Gr. Polit. Theory, p. 218 (la cité grecque est un club d’hommes ; le mariage n’entraîne pas d’union spirituelle, etc.). Socrate, dans Xén., Mémor., II, ii, 4 : φανεροὶ δ’ἐσμὲν καὶ σκοπούμενοι, ἐξ ὁποίων ἂν γυναικῶν βέλτιστα ἡμῖν τέκνα γένοιτο. L’idée exprimée est parfaitement normale et se continue par une description admirable du rôle