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INTRODUCTION

ront comme tels, indistinctement, quitte à décréter, entre les enfants nés dans une même période, des « empêchements d’affinité » pour éviter l’inceste. Et Socrate s’attarde à célébrer les bienfaits de cette unité que rien ne divise (466 d).

Les longues hésitations de Socrate au début de ce livre de la République et ses déclarations au début du Timée montrent bien que Platon avait conscience de l’énormité de ses propos. Mais il suivait la logique de l’Idée, et personne, on l’a dit souvent, n’est aussi radical qu’un idéaliste. Il suivait aussi une autre logique, plus concrète et plus proche. Les Doriens de Crète étaient constitués en une classe guerrière et gouvernante, qu’entretenait, sans trop souffrir ni se révolter, une classe serve agricole, et l’État nourrissait en commun les guerriers. Les Doriens de Sparte étaient des soldats campant sur une terre conquise ; les vaincus, les hilotes, la travaillaient pour eux et leur servaient une redevance fixe, égale pour tous ; quant à eux, de vingt à trente ans, « ils logeaient à la caserne ; jusqu’à soixante, ils mangeaient à la cantine » ; de sept à vingt ans, ils étaient élevés en commun, médiocrement instruits, mais dressés à une stricte discipline et à tous les travaux de la guerre, et les filles s’exerçaient au gymnase avec les garçons, « cuisses nues et robes flottantes ». Enfin, les « lois de Lycurgue » fixaient les limites d’âge pour le mariage, ordonnaient au vieillard impuissant de se faire suppléer pour perpétuer sa famille, permettaient au mari de prêter sa femme à un célibataire peu porté au mariage et pourtant désireux d’une belle postérité[1]. Or, dans la Grèce démocratique de l’époque platonicienne, Sparte, si détestée et si odieuse dans ses rapports avec les autres cités, exerçait par sa constitution un prestige extraordinaire, assez fort pour survivre à toutes les infidélités qu’elle lui faisait et à toutes les décadences qui s’accusaient

  1. Sur la Crète, cf. Glotz, Histoire Grecque, I, p. 301 ; art. Kreta dans RE, XI, 2, Verfassung par J. Œhler, col. 1818-1822. Sur Sparte, art. d’Ehrenberg dans RE, III A 2, spécialement col. 1381/3 ; Glotz, Hist. Gr., surtout p. 353/6 1 (caserne et cantine, p. 359) ; Fougères, dans Peuples et Civilisations, I2, p. 304/9. Pour les exercices des filles, Euripide, Andromaque, 595 (trad. Méridier). Pour la législation du mariage, Xénophon, Rép. Lacéd., I, 6-9.