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INTRODUCTION

la femme soldat ne peut tenir ni une maison ni une famille. Au lieu d'être cloîtrée dans le gynécée, elle vit la vie de l’homme, avec l’homme, vêtue et dévêtue comme lui. Donc l’attrait sexuel s’exerce. Heureusement, car Platon, qui demande à ses gardiens la pauvreté et l’obéissance des moines, est loin de songer à leur imposer la continence : on n’empêche pas une belle race bien dressée de se reproduire, on l’y pousse au contraire, mais on surveille, on choisit, on réglemente. Ainsi fait Platon, qui ne veut pas plus d’amour libre entre ses gardiens que n’en veut un éleveur entre des bêtes de race. Il veut des mariages, officiels, solennels, sanctifiés, car la cité sanctifie tout ce qui lui est utile, et des mariages d’inclination, car l’homme est capricieux, sentimental, et, s’il croit suivre son seul désir, il n’en ira que mieux là où l’avenir de la race exige qu’il aille. Donc un herd-book tenu par les magistrats, et tous les arrangements possibles pour que les sujets d’élite se reproduisent et non les autres. Quant aux enfants, s’ils valent d'être élevés et non pas mis au rebut, on les porte à une pouponnière où les mères viendront les nourrir sans les connaître : on évitera d’ailleurs qu’elles ne se fatiguent, et on les déchargera de toute la besogne de l’élevage. Au-dessus comme au-dessous d’un certain âge, la procréation est interdite et ses fruits déclarés illégitimes : une fois cet âge passé, l’amour est libre, sauf entre parents et en veillant bien à ce qu’il demeure stérile (461 c). C’est l’eugénisme dans toute sa logique.

Comment donc reconnaîtra-t-on les parents ? On ne les reconnaîtra pas, et c’est en cela que Platon voit l’avantage moral de cette institution. Il n’a supprimé la famille que pour la reconstruire plus au large : la cité tout entière ne fera qu’une famille. Non seulement, en effet, le peuple verra dans les gardiens ses défenseurs et non ses maîtres, et les gardiens verront dans les autres citoyens leurs nourriciers et non leurs sujets, ce qui abolit, dans notre cité, la profonde division dont souffrent les autres et crée une réciprocité d’intérêts et de gratitude là où n’existe si souvent qu’antagonisme et envie ; mais le groupe des gardiens, source active de cette unité civique, sera plus étroitement uni encore, puisqu’il le sera par le cœur et le sang. Grâce à la communauté des femmes et des enfants, tous les membres du groupe se regarderont comme parents et se traite-