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INTRODUCTION

quittons-nous le cours de notre exposé ? Au contraire, nous le suivons et le découvrons de plus en plus clairement. Nous avons orienté toute notre construction sociale vers un idéal de justice, qui s’est révélé peu à peu comme un idéal d’unité : que chacun demeure à sa place et remplisse exactement sa fonction, c’est là, disions-nous, la justice, et c’est aussi la condition d’unité de la cité. L’éducation que nous avons esquissée avait pour but de faire naître et d’entretenir, dans les cœurs des gardiens, cet esprit de justice et cet esprit d’unité : nous observions qu’il s’étendrait de lui-même et par sa propre logique jusqu'à une véritable communauté des femmes et des enfants (423 c-424 a). Quant au sens plein que va prendre à cette heure la philosophie des gardiens, ne devions-nous pas le prévoir et n’est-ce pas là un épanouissement naturel ? Nous les avions orientés vers la justice et l’unité en cultivant chez eux des opinions droites et des vertus d’habitudes, opinions et vertus que nous savions exposées aux dangers de l’oubli, de la crainte et de la séduction, et nous avions décidé d’élire pour dirigeants ceux de nos gardiens qui surmonteraient le mieux ces dangers (414 b). Mais, quel autre moyen avions-nous de fixer à demeure ces opinions et ces vertus, nous disciples de Socrate, sinon cette science que Socrate proclamait inamissible ? Et comment assurer par nos gardiens l’orientation générale vers l’unité, si nous n’en donnions, à tout le moins aux meilleurs d’entre eux, la vision synoptique par cette science même ? Sans parler de la doctrine constante des dialogues platoniciens, ne doit-on pas affirmer que la seule lecture des Mémorables (III, IX, 4, 5, 10, 11) eût dû interdire aux critiques d’imaginer une cité platonicienne dont la justice ne fût pas fondée sur la compétence et la science, mais sur l’opinion et l’habitude ?

Quelque intervalle de temps que nous imaginions entre les Livres V-VII et les premiers livres de la République, il n’y a pas entre eux d’hiatus logique, et lors même que la République actuelle fût, comme certains l’ont supposé très affirmativement, le développement et le remaniement d’un premier essai, d’une Ur-Politeia, ce noyau de notre République ne pouvait être ni platonicien ni même socratique sans contenir ce qui fait l’idée essentielle et l’esprit même de ces Livres V-VII : la science infaillible du Bien.