Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXXIV
INTRODUCTION

nés de la même terre, mais à la terre-mère le dieu qui les forma mêla pour les uns de l’or, pour d’autres de l’argent, pour les derniers du fer et de l’airain. S’il arrive cependant, à l’encontre des lois normales de l’hérédité, qu’un enfant naisse mêlé d’un autre métal que son père, on le fera sans pitié ni scrupule descendre ou monter au rang que sa nature mérite, car la corruption de la race gouvernante serait la ruine de la cité (415 d).

Et maintenant armons ces fils de la terre, groupons-les derrière leurs chefs, campons-les à l’endroit d’où ils protégeront plus sûrement la cité contre les ennemis du dehors et du dedans. Car ils sont faits pour la protéger : ce sont des chiens de garde que nous donnons à notre troupeau, non pas des loups ; des défenseurs, non pas des maîtres ou des tyrans. Il faut donc leur enlever toute tentation de transformer leur service en puissance et en jouissance. Ils sont une garnison, que les citoyens logent et nourrissent : maison commune, table commune, subsistance assurée d’avance pour l’année, donc aucun besoin d’or ni d’argent et défense absolue d’en posséder, d’en manier, presque d’en voir (417 a). C’est leur faire, dit Adimante, un sort peu enviable et bien étrange : comment ? maîtres de la cité comme ils le sont en fait, ils n’en tireront et accepteront de n’en tirer aucun profit ? Nous sommes, en effet, à l’extrême opposé de la thèse soutenue au premier Livre par Thrasymaque, aussi bien que de l’opinion et de la pratique générale : comme Socrate le voulait contre Thrasymaque, le gouvernement que nous instituons ne profite qu’aux gouvernés. Il est non pas une exploitation, mais un service[1]. N’est-ce pas juste ? La cité est-elle faite pour les gardiens, ou les gardiens, comme tous autres, pour la cité ? Notre but est qu’elle soit heureuse et non ses gardiens ou ses artisans, ou plutôt, n’est-ce pas en contribuant chacun dans sa mesure et par sa fonction propre au bien de la cité qu’ils trouveront leur part naturelle de bonheur ? D’ailleurs, l’absolue pauvreté que nous exigeons des gardiens n’est que la fleur suprême de l’esprit de mesure qui doit régner dans

  1. On serait tenté de pardonner beaucoup à Krohn quand on lit Pl. Staat, p. 33 : « Platon a établi, au centre de sa cité, une autorité de droit divin. Mais, à ceux qui la détiennent, il donne, non des droits, mais des devoirs transcendants. »