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LA RÉPUBLIQUE

autre, ne pouvons-nous pas dire qu’il conforme alors autant que possible son langage à celui de chaque personnage auquel il nous avertit qu’il va donner la parole ?

Nous le pouvons ; je ne vois pas d’autre réponse.

Or se conformer à un autre, soit pour la parole, soit par le geste, n’est-ce pas imiter celui auquel on se conforme ?

Sans doute.

Mais en ce cas, ce me semble, Homère et les autres poètes ont recours à l’imitation dans leurs récits.

Assurément.

Au contraire si le poète ne se cachait jamais, l’imitation serait absente de toute sa composition et de tous ses récits[1]. dMais, pour que tu ne dises plus que tu ne comprends pas comment cela peut être, je vais te l’expliquer. Si en effet Homère, après avoir dit que Chrysès vint avec la rançon de sa fille supplier les Achéens et en particulier les rois, continuait à parler, non pas comme s’il était devenu Chrysès, mais comme s’il était toujours Homère, tu comprends bien qu’il n’y aurait plus imitation, mais simple récit. La forme en serait à peu près celle-ci, en prose du moins ; car je ne suis pas poète. e « Le prêtre étant venu pria les dieux de leur accorder de prendre Troie en les préservant d’y périr, et il demanda aux Grecs de lui rendre sa fille en échange d’une rançon et par respect pour le dieu[2]. Quand il eut fini de parler, tous les Grecs témoignèrent leur déférence et leur approbation ; seul, Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoir vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit de se retirer et de ne pas l’irriter, 394s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. Le vieillard entendant ces menaces eut peur et s’en alla sans rien dire ; mais une fois loin du camp, il adressa d’instantes prières à Apollon, l’invoquant par tous ses surnoms, et le conjura, s’il

  1. Ce n’est pas l’avis d’Aristote qui prétend (Poét. ch. i) que tous les genres de poésie ont ceci de commun qu’ils relèvent tous de l’imitation.
  2. Tout ce passage de l’Iliade, I, 22-42, est exactement traduit en prose, et rien ne marque que le texte de Platon différât du nôtre. S’il substitue ἐπαρκέσοι à χραίσμῃ, c’est que ce dernier mot n’est plus employé au ive siècle.